Guinée/souveraineté économique à l’horizon 2040: du mythe à la réalité (Par M. Camara)

il y a 1 semaine 63
PLACEZ VOS PRODUITS ICI

CONTACTEZ [email protected]

À l’occasion de la célébration du 67ème anniversaire de l’accession de la République de Guinée à l’indépendance, le thème retenu par les autorités – « S’inspirer du passé pour construire l’avenir ensemble : notre souveraineté économique » – résonne avec une acuité particulière. Je vois dans ce thème non pas une simple incantation, mais un impératif stratégique. La question fondamentale n’est plus de savoir si nous devons atteindre la souveraineté économique, mais comment y parvenir de manière pragmatique et durable, dans un contexte national et international complexe, et à la lumière du projet structurant qu’est Simandou.

Cet article se propose d’esquisser une feuille de route analytique, en identifiant les leviers, les freins et les conditions de succès pour transformer l’aspiration à la souveraineté en une réalité tangible à l’horizon 2040.

1. Diagnostic d’une souveraineté à conquérir : le paradoxe guinéen

S’inspirer du passé, c’est d’abord reconnaître lucidement notre trajectoire. Depuis 1958, la Guinée a fait le pari audacieux de l’indépendance totale. Cependant, cette souveraineté politique n’a jamais été pleinement adossée à une souveraineté économique robuste. Notre économie demeure archétypale d’une dépendance structurelle :

Extravertie : Fortement tributaire de l’exportation de matières premières brutes (bauxite, or, diamant) dont nous ne maîtrisons ni les cours, ni la chaîne de valeur finale.

Vulnérable : Soumise aux chocs exogènes (volatilité des prix, crises sanitaires mondiales, tensions géopolitiques).

Peu inclusive : Les revenus miniers, bien que substantiels, irriguent insuffisamment l’économie réelle et ne parviennent pas à réduire significativement la pauvreté ou à créer un tissu dense d’emplois durables.

Le projet Simandou, par son gigantisme (investissement de plus de 20 milliards de dollars), incarne à la fois l’apogée de ce modèle et l’opportunité historique de le transcender. La question pour 2040 est donc la suivante : Simandou sera-t-il une enclave extractive de plus, ou le véritable catalyseur de notre souveraineté économique ? La réponse dépendra de notre capacité à capitaliser sur nos forces et à corriger nos faiblesses.

2. Analyse stratégique (swot) de la souveraineté économique guinéenne

Pour tracer une voie réaliste, une analyse des forces, faiblesses, opportunités et défis s’impose.

Forces (Atouts intrinsèques)

1. Ressources naturelles de classe mondiale : Au-delà du fer de Simandou, la Guinée détient le tiers des réserves mondiales de bauxite, un potentiel aurifère et diamantifère considérable, des terres arables abondantes et un potentiel hydroélectrique exceptionnel (le « château d’eau de l’Afrique de l’Ouest »).

2. Positionnement géostratégique : Une façade maritime de plus de 300 km, offrant un accès direct aux marchés internationaux (Europe, Amériques, Asie).

3. Dividende démographique : Une population très jeune, qui constitue une formidable réserve de main-d’œuvre et un marché intérieur potentiel, à condition d’être formée et employée.

4. Volonté politique affichée : Les discours actuels sur la refondation, le contenu local et la renégociation de contrats miniers plus équilibrés signalent une prise de conscience au plus haut niveau de l’État.

           Faiblesses (freins structurels)

1. Gouvernance et fragilité institutionnelle : C’est notre talon d’Achille. La corruption endémique, la faible capacité de l’administration à faire appliquer les contrats et les lois, et l’instabilité politique chronique découragent l’investissement productif et détournent les richesses.

2. Déficit critique de capital humain : Le système éducatif et de formation professionnelle est en décalage criant avec les besoins de l’industrie moderne. Le manque d’ingénieurs, de techniciens qualifiés et de managers locaux est un obstacle majeur au contenu local.

3. Infrastructures insuffisantes et coûteuses : En dehors du corridor Simandou en construction, le déficit en énergie fiable et abordable, en routes et en infrastructures numériques handicape la diversification économique et la compétitivité des entreprises locales.

4. Tissu industriel et financier embryonnaire : La quasi-absence de secteur de transformation, couplée à un secteur bancaire peu enclin à financer les PME locales, crée une dépendance massive aux importations pour la quasi-totalité des biens manufacturés et des services complexes.

           Opportunités (vecteurs de changement)

1. Simandou comme « Projet-École » : Le Transguinéen (chemin de fer) et le port en eau profonde ne doivent pas être vus comme de simples infrastructures d’évacuation du minerai, mais comme une colonne vertébrale pour le développement de corridors agricoles et industriels à travers le pays.

2. Transition énergétique et numérique mondiale : La demande mondiale pour l’aluminium (issu de notre bauxite), le fer de haute qualité (pour l’acier « vert ») et potentiellement d’autres minerais stratégiques place la Guinée au cœur des enjeux du 21ème siècle.

3. Exigences accrues en matière de RSE et de contenu local : Les standards internationaux (ESG) et la pression des opinions publiques poussent les multinationales à intégrer davantage les économies locales, créant un levier de négociation pour l’État guinéen.

4. Intégration régionale (ZLECAf) : Le marché continental africain offre une opportunité de diversification pour des produits guinéens transformés, à condition que nous soyons compétitifs.

           Défis et menaces (risques à maîtriser)

1. La « Malédiction des ressources » : Risque de focalisation excessive sur le secteur minier au détriment des autres secteurs (agriculture, services), volatilité des recettes budgétaires et « maladie hollandaise ».

2. Instabilité sociopolitique : L’absence d’un pacte social solide et le risque de conflits liés à la répartition de la manne minière peuvent compromettre la vision à long terme.

3. Impacts environnementaux et sociaux : Une gestion laxiste du projet Simandou pourrait engendrer des dommages écologiques irréversibles et exacerber les tensions avec les communautés locales.

4. Pressions géopolitiques : La Guinée est un terrain de compétition entre les grandes puissances. Maintenir une position d’équilibre pour défendre nos intérêts propres est un défi diplomatique et stratégique majeur.

3. Recommandations pour une souveraineté conquise à l’horizon 2040

La souveraineté ne se décrète pas, elle se construit. Voici cinq axes stratégiques interconnectés :

1. Axe 1 : La gouvernance du contrat social. Le succès du programme repose sur une bonne gestion des deniers publics, garantissant la transparence totale des contrats et des revenus.

2. Axe 2 : Le Pacte pour le Capital Humain. Lancer un plan Marshall pour le système national d’apprentissage. Donner du contenu très clair au concept SIMANDOU ACADEMY ; Créer des instituts d’excellence dédiés aux métiers de la mine, du rail, de la logistique et de la transformation industrielle. La souveraineté passe par la compétence.

3. Axe 3 : La Stratégie de la Valeur Ajoutée. Passer de l’exportation brute à la transformation locale comme le veulent les autorités. Cela implique des politiques incitatives claires : exiger contractuellement une part de la production de bauxite transformée en alumine, et planifier la construction d’un premier complexe sidérurgique pour valoriser une partie du fer de Simandou.

Mettre l’accent dans les domaines où la Guinée présente un avantage comparatif comme l’agriculture, l’énergie …

4. Axe 4 : Le Développement de l’Écosystème National. Créer un Fonds Souverain pour les Générations Futures, abondé par une part des revenus miniers, destiné à financer la diversification économique (agro-industrie, numérique, tourisme). Imposer des clauses de contenu local ambitieuses mais réalistes, et accompagner les PME guinéennes via la Bourse de sous-traitance et de partenariat (BSTP) pour qu’elles puissent répondre aux standards des grands groupes.

5. Axe 5 : La Maîtrise des Infrastructures. L’État conserve une participation stratégique et un contrôle sur les infrastructures structurantes (rail, port). Comme pour l’ANAIM et la CTG le modèle doit être celui d’une infrastructure « multi-usagers, multi-services », ouverte aux opérateurs agricoles et industriels guinéens à des tarifs régulés, pour en faire un levier de compétitivité nationale.

Assi l’état doit-il financer certaines infrastructures annexes aux mines pour développer une industrie de réseaux multimodaux de transport connectant toutes les régions et les bassins de productions de la Guinée …

Conclusion

La souveraineté économique à l’horizon 2040 n’est pas un rêve inaccessible pour la Guinée. C’est le fruit d’une vision claire, d’un courage politique sans faille et d’une discipline technique rigoureuse. Le projet Simandou n’est pas une fin en soi ; il est le plus grand test de notre maturité en tant que nation. Il peut être le catalyseur de notre essor ou le symbole de nos échecs répétés.

S’inspirer du passé, c’est tirer les leçons de 67 ans d’occasions manquées pour ne plus commettre les mêmes erreurs. Construire l’avenir ensemble, c’est comprendre que cette souveraineté ne sera l’œuvre ni d’un seul homme, ni d’un seul gouvernement, mais celle de toute une génération de Guinéens – dirigeants, entrepreneurs, ingénieurs, agriculteurs – unis par une ambition commune. Le moment est historique. À nous de le saisir.

Mohamed CAMARA

 Économiste, Associé Gérant

 MOCAM Consulting

Lire l'article en entier