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Bon rétablissement Mingo… Hypocritement !
Parfois, j’ai honte. Honte de ne pas être célèbre dans ce pays. Honte de n’avoir jamais fait rire le ministre, amuser les épouses et tchizas ministérielles ou diverti les généraux entre deux massacres budgétaires. Ici, la maladie n’est pas un accident biologique, c’est un examen de passage, un test de notoriété publique. Tu veux guérir ? Sois vu. Sois utile. Sois médiatique.
Qu’un humoriste, un seul, se racle la gorge, et voilà l’État qui s’étrangle de sollicitude. On dégote un avion comme on sort un mouchoir de soie, on agite les réseaux sociaux en drapeaux de deuil, on ouvre grandes les poches de l’État dans un grand bruit de vertu. Le malade, ainsi porté aux nues, devient icône ; son rhume est érigé en cause nationale. L’indifférence générale, ce vieux fonds de commerce des puissants, se recycle en une compassion officielle, aussi bruyante qu’éphémère.
Pendant ce temps, un citoyen sans nom crache ses poumons dans un couloir d’hôpital où la lumière hésite entre la pénombre et l’extinction totale. Lui, n’aura ni Boeing ni hashtag. Aucune mélodie compassionnelle ne twittera pour son agonie. On l’expédiera, on l’oubliera, on l’enterrera vite fait, bien fait, comme une simple erreur de parcours, un déchet humain anonyme sur la route nationale du progrès que nous vantent les autorités.
Voilà donc ma Guinée. Une patrie où le simple mal de tête d’une star vaut infiniment plus qu’un AVC de quartier. Un pays où l’État ne soigne pas les malades mais trie les corps, sélectionne les viables en fonction de leur potentiel de buzz ou de leur proximité avec l’ogre power. La souffrance, ici, possède deux classes bien distinctes : la première, climatisée, sponsorisée par la solidarité spectacle ; la seconde, gratuite, poussiéreuse, nationale, livrée à elle-même et aux aléas de la fatalité.
On nous serine des discours humanistes, mais ce n’est qu’une charité de pacotille pour une pièce de théâtre bien huilée. L’humanité, la vraie, ne se résume pas à évacuer un artiste vers les cliniques luisantes de Berlin. Elle commence dans le respect de chaque vie, même silencieuse, même pauvre, même parfaitement anonyme. Ce que l’État a orchestré pour Mingo, il aurait dû le faire pour tous. Ce n’est pas Mingo le problème. C’est l’exclusivité scandaleuse du geste.
Nous avons érigé une caste sanitaire, une aristocratie de la douleur. Il ne suffit plus d’être malade pour être soigné. Il faut être visible. Il faut avoir un nom qui résonne, un poids qui pèse dans la balance médiatique. Les hôpitaux se sont mués en zones VIP. On n’y entre pas avec une ordonnance crasseuse, mais avec un statut, un carnet d’adresses bien garni. La maladie elle-même s’est hiérarchisée. Les urgences ne sont plus celles du diagnostic mais celles de l’agenda politique.
Tandis que les décideurs jouent aux apprentis sorciers avec l’argent public, des femmes accouchent dans la solitude crasse du ciment. Des enfants se vident de leur sang, rongés par la malaria, à deux pas de centres de santé vides comme des coquilles d’arachide. Des vieillards agonisent faute d’un peu d’oxygène, entre deux coupures d’électricité qui ponctuent leur lente descente aux enfers. Ils ne dérangent personne, ceux-là. Ils ne coûtent rien, ils ne rapportent rien. Ce sont les morts rentables, économiques, ceux qu’on peut oublier sans remords.
Ce pays n’a pas un problème de moyens, il a un profond problème d’âme et de priorités. Il préfère dépenser des fortunes à faire soigner ses vedettes à l’étranger plutôt que d’équiper le moindre hôpital régional. Il préfère évacuer des corps que d’investir dans la dignité. Il préfère construire des palais et offrir des 4×4 clinquants à ses artistes fétiches plutôt que des services de réanimation dignes de ce nom. Il soigne l’image de ses élites avec onguents et parfums et laisse son peuple pourrir sous la perfusion lente et toxique des promesses non tenues.
Soyons honnêtes jusqu’au bout : ici, mourir pauvre est perçu comme un devoir civique ultime. On attend de toi que tu t’éteignes sans bruit, sans plainte, sans réclamer une simple aspirine. Tu es né sans rien, tu mourras sans scandale. Tu es trop banal pour déranger, trop ordinaire pour mériter le passage en ambulance. La seule chose qu’on exige de toi, c’est de mourir discrètement, proprement pour ne pas entraver le trafic des évacuations sanitaires de la République.
Pendant que les grands malades de la nation prennent l’avion, les vrais malades, ceux de l’ombre, prennent leur mal en patience. Ils comptent les jours comme on compte les respirations avant l’asphyxie. Ils prient pour que la fièvre baisse, non pas grâce à un traitement, mais grâce à un miracle, un de ceux que Dieu distribue avec parcimonie. Parce qu’ici, la médecine est une affaire de foi, pas de science. L’hôpital public est devenu une église sans prêtre, sans hostie, où l’espoir est la première chose qui meurt.
Le cynisme est tel qu’on en vient à féliciter l’État pour avoir fait son simple devoir envers un seul homme, pendant qu’il en trahit allègrement des millions. On célèbre l’exception et on enterre la règle dans une fosse commune. On transforme une injustice systémique en acte héroïque de générosité. On maquille l’abandon organisé en élans de cœur. Et le peuple, abruti de misère, applaudit des deux mains, parce qu’il a perdu jusqu’à l’habitude de réclamer autre chose qu’un cercueil propre et une tombe anonyme.
Il ne s’agit pas de refuser l’évacuation de Mingo. Il s’agit de dénoncer jusqu’à la nausée un système qui a érigé l’injustice en routine administrative. Un système où le droit à la santé est un privilège de caste. Où la solidarité n’est qu’un mot creux, réservé aux causes photogéniques. Où les décisions vitales se prennent non pas selon l’urgence médicale, mais selon la notoriété du malade.
Et puis, voilà que Mingo lui-même prend la parole. Dans une interview récente sur le site africaguinee.com, il raconte sa maladie, ses cinq années de dialyse, ses souffrances et son courage. Il remercie le président pour la voiture présidentielle, qu’il appelle un « médicament ». Il avoue que sans la comédie et la visibilité, l’État ne l’aurait jamais aidé. Il demande au peuple de prier et de laisser l’État travailler pour son évacuation. Il va jusqu’à dire que c’est grâce à son métier et à son soutien affiché au régime qu’il bénéficie de cette sollicitude.
Tout est dit. La reconnaissance de Mingo est sincère et humaine, personne ne la conteste. Mais ses mots révèlent malgré lui la logique cruelle du système. Ici, on ne soigne pas parce qu’on est citoyen, mais parce qu’on est utile, visible, identifiable. La maladie est devenue une affaire de réputation. On guérit par carnet d’adresses interposé. La médecine d’État se distribue comme une faveur politique.
Alors, combien d’anonymes dialysés, eux aussi, meurent dans le silence chaque semaine, faute de machine, faute de voiture, faute de passeport médical pour Berlin ? Combien de pères et de mères se vident de leur sang dans les couloirs poussiéreux sans qu’aucune caméra ne s’allume, sans qu’aucune autorité ne s’émeuve ? Combien de malades auraient eu besoin, comme Mingo, d’un geste vital, mais n’ont jamais eu l’occasion de faire rire un général ou de chanter pour un président ?
Voilà le scandale. Ce pays ne choisit pas ses malades au hasard, il les sélectionne à la lumière des projecteurs. La souffrance se mesure désormais au volume des applaudissements. Et tant que la Guinée continuera de transformer la santé en privilège de vedette, elle restera une terre d’injustice où mourir pauvre, discret et anonyme sera le dernier devoir civique.
Et pendant que les puissants s’applaudissent entre eux pour avoir sauvé un seul, les autres meurent par millions dans le silence. Voilà notre vérité nue : une nation qui choisit ses vivants et distribue ses morts par tirage médiatique. Une République où l’égalité se mesure en likes et en hashtags. Une patrie qui soigne ses stars mais enterre son peuple.
Refondation ? Où ça.
Rectification ? Pour qui.
Solidarité ? Pour les stars seulement.
Alléluia, amen !
Ousmane Boh KABA
L’article Évacuation de l’humoriste Mingo : Ici, il faut être célèbre pour ne pas mourir [Par Ousmane Boh Kaba] est apparu en premier sur Mediaguinee.com.