Référendum constitutionnel de 2025 en Guinée : vers un constitutionnalisme guinéen endogène (Par Dr Adama Guilavogui)

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Résumé

Cette publication analyse le processus constituant engagé en République de Guinée en 2025 sous l’angle d’une construction normative endogène. L’examen se structure autour de trois axes : la qualification juridique du référendum en tant qu’expression du pouvoir constituant originaire, l’évaluation des innovations institutionnelles rapportées aux paramètres socio-politiques nationaux, et l’étude des effets systémiques sur la configuration d’un modèle constitutionnel africain contextualisé. La démarche mobilise des constructions doctrinales contemporaines du droit constitutionnel et interroge la transférabilité des modèles, en articulant standards universels et spécificités normatives guinéennes.

Mots-clés : constitutionnalisme endogène ; spécificité guinéenne ; innovation normative ; pouvoir constituant ; droit comparé africain

Contexte Général 

La convocation du corps électoral guinéen en 2025 pour se prononcer sur une nouvelle Loi fondamentale relève du pouvoir constituant originaire et engage une recomposition de la hiérarchie des normes. L’enjeu porte sur l’articulation entre principes constitutionnels généraux (souveraineté populaire, séparation fonctionnelle des pouvoirs, justiciabilité des droits) et paramètres nationaux (structure sociale, pratiques de légitimation, trajectoires institutionnelles). L’approche retient une lecture juridique positive, situe les options retenues dans la typologie des régimes et mobilise le droit comparé afin de rendre compte des choix de conception institutionnelle en contexte guinéen.

Fondements doctrinaux : au-delà de l’universalisme abstrait

Les constructions doctrinales à prétention universaliste montrent des limites en contexte postcolonial. Les travaux de Mahmood Mamdanimettent en évidence l’héritage colonial d’une administration duale — directe dans les centres urbains, indirecte dans les zones rurales — dont les effets structurants persistent dans les pratiques politiques africaines contemporaines (1). Achille Mbembe, dans une perspective postcoloniale, insiste sur la nécessité de repenser les catégories politiques occidentales afin de saisir les dynamiques propres aux sociétés africaines (2).

Dans le prolongement, le constitutionnalisme contextuel, théorisé par Sujit Choudhry et Rosalind Dixon, conçoit l’ordre constitutionnel comme un instrument devant être ajusté aux réalités sociales et politiques nationales plutôt que conforme à un modèle abstrait (3). En Guinée, cette approche commande d’intégrer les institutions coutumières de régulation sociale, les mécanismes traditionnels de médiation et les modes endogènes de légitimation du pouvoir, à condition qu’ils demeurent compatibles avec les exigences de l’État de droit et les engagements internationaux.

Spécificités du contexte guinéen

Le référendum constitutionnel de 1958, par lequel la Guinée a rejeté la Communauté française, institue une culture politique marquée par l’affirmation de la souveraineté et l’auto-détermination (4). Cette donnée historique constitue un socle de légitimation du recours récurrent à l’instrument référendaire.

La pluralité ethno-linguistique (Peuls, Malinkés, Soussous, Forestiers) représente à la fois une richesse et un défi. La construction institutionnelle doit intégrer cette diversité dans une logique d’égalité citoyenne et de cohésion nationale (5).

Enfin, la centralité de l’économie extractive, dominée par la bauxite, le fer, l’or et le diamant, impose une normativité spécifique pour encadrer la gouvernance des ressources, leur redistribution et la transparence des revenus. Ces enjeux de gouvernance économique, rarement traités dans les modèles constitutionnels classiques, prennent une place particulière dans la trajectoire guinéenne (6).

Innovations du projet constitutionnel guinéen

Le mandat présidentiel de sept ans, renouvelable une seule fois, modifie la périodicité électorale et inscrit la temporalité politique dans une logique de stabilité normative. Cette durée s’aligne sur les cycles longs de développement et de planification, tout en étant bornée par une limitation temporelle explicite (8).

L’architecture institutionnelle retient un présidentialisme assumé : l’exécutif dispose de l’initiative législative et de compétences de nomination étendues, tandis que le Parlement conserve des prérogatives normatives et budgétaires. L’équilibre se construit par la création d’une Cour constitutionnelle, investie de compétences de contrôle de constitutionnalité, de règlement des litiges électoraux et de proclamation des résultats (10).

Le catalogue de droits fondamentaux combine droits civils et politiques, droits économiques et sociaux, et droits culturels. Leur effectivité repose sur leur invocabilité juridictionnelle, élément déterminant pour éviter que ces droits demeurent purement programmatoires (16).

Originalité du processus constituant

Le recours au référendum renoue avec une tradition nationale d’appropriation populaire de la norme suprême. L’adoption directe du texte par le corps électoral lui confère une densité particulière de légitimation démocratique.

Le processus inclut également une reconnaissance des autorités traditionnelles comme acteurs de médiation institutionnelle. Leur intégration dans le dispositif constitutionnel traduit une hybridation normative combinant institutions modernes et structures sociales enracinées.

La constitutionnalisation des objectifs de développement — planification économique, gouvernance des ressources naturelles, industrialisation, lutte contre la pauvreté — érige ces orientations en obligations juridiques opposables aux pouvoirs publics, renforçant ainsi le caractère transformationnel du texte.

Apports aux constructions doctrinales

L’expérience guinéenne contribue à la notion de constitutionnalisme développemental en articulant limitation du pouvoir et habilitation de l’action publique pour la réalisation de droits sociaux justiciables (7). Elle illustre également les potentialités de l’hybridation normative, où coexistent sources étatiques et coutumières, sous réserve de leur compatibilité avec le bloc de constitutionnalité. Enfin, elle manifeste une temporalité constitutionnelle spécifique, caractérisée par la durée des mandats et la continuité institutionnelle, distincte de la logique occidentale d’alternance rapide.

Fondements normatifs positifs

La Charte de la transition de 2021 réaffirme la souveraineté populaire et habilite le recours au référendum (12). L’avant-projet de 2024 précise l’architecture institutionnelle, notamment la durée du mandat présidentiel et la création de la Cour constitutionnelle (8). La Direction générale des élections, instituée en 2023, administre les opérations électorales sous la tutelle du ministère de l’Administration du Territoire, conformément au Code électoral (5).

Les standards du Code de bonne conduite en matière référendaire définis par la Commission de Venise encadrent la neutralité de l’administration, la clarté de la question, l’égalité des acteurs et l’existence d’un contentieux effectif (13). Les engagements internationaux, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, irriguent le bloc de constitutionnalité (14)(15).

Implications juridiques et institutionnelles

L’allongement du mandat présidentiel stabilise la périodicité électorale et la production normative. Le présidentialisme retenu demeure compatible avec l’État de droit dès lors que le contrôle parlementaire, l’indépendance fonctionnelle de la Cour constitutionnelle et l’encadrement des régimes d’exception par des clauses de proportionnalité et de temporalité s’exercent pleinement.

La proclamation des droits fondamentaux prend toute sa valeur par leur invocabilité juridictionnelle. L’ouverture de voies de recours adaptées constitue la condition de leur effectivité. Le droit comparé (France, Allemagne, Afrique du Sud) démontre que l’accès individuel au juge constitutionnel est un facteur déterminant de crédibilité normative (16–19).

Zones de consolidation et perspectives 

L’inclusivité du processus constituant favorise l’acceptabilité sociale de la norme, comme l’illustre l’expérience tunisienne de 2014 (20). La consolidation des mécanismes de contrôle parlementaire et juridictionnel, ainsi que la transparence électorale assurée par la Direction générale des élections, garantissent la régularité du processus. L’intégration explicite des engagements internationaux dans le bloc de constitutionnalité établit la cohérence entre ordre interne et obligations internationales.

Au-delà de la technique institutionnelle, le processus guinéen contribue à dépasser les limites de l’universalisme constitutionnel. Mahmood Mamdani a montré que les institutions coloniales ont produit des formes hybrides de gouvernance dont les effets persistent dans les structures postcoloniales (1). Achille Mbembe a souligné la nécessité de repenser les catégories politiques occidentales pour saisir les dynamiques africaines (2). Sujit Choudhry et Rosalind Dixon rappellent que l’efficacité constitutionnelle dépend de son enracinement dans les réalités nationales (3). Appliquée à la Guinée, cette approche révèle que les institutions coutumières, les pratiques de légitimation et les mécanismes endogènes de régulation peuvent constituer des ressources normatives intégrables dans un ordre constitutionnel moderne, dès lors qu’ils respectent les principes de l’État de droit.

Ainsi, le référendum constitutionnel de 2025 illustre une démarche d’innovation normative endogène. Il ne s’agit pas d’une reproduction de modèles exogènes mais d’une tentative de construction d’un ordre constitutionnel adapté aux réalités sociales, économiques et culturelles nationales. La régularité des opérations et l’achèvement des échéances constitutionnelles établiront les conditions d’un cadre normatif pérenne, garantissant la sortie de transition et l’installation durable d’un ordre juridique stable et effectif.

Adama Guilavogui, Ph.D., JD 

Références

1. Mamdani, M. (1996). Citizen and Subject: Contemporary Africa and the Legacy of Late Colonialism. Princeton University Press.

2. Mbembe, A. (2000). De la postcolonie. Karthala.

3. Choudhry, S. & Dixon, R. (2011). Comparative constitutional law. Annual Review of Law and Social Science, 7, 89–108.

4. Schmidt, E. (2007). Cold War and Decolonization in Guinea, 1946–1958. Ohio University Press.

5. Rivière, C. (1971). Mutations sociales en Guinée. Marcel Rivière.

6. Campbell, B. (2009). Mining in Africa: Regulation and Development. Pluto Press.

7. Landau, D. (2012). The reality of social rights enforcement. Harvard International Law Journal, 53(1), 189–247.

8. République de Guinée. (2024). Avant-projet de Constitution de la République de Guinée. Ministère de la Justice.

9. Sieyès, E.-J. (1789). Qu’est-ce que le Tiers État ? Flammarion (rééd. 1988).

10. Kelsen, H. (1962). Théorie pure du droit. Dalloz.

11. Schmitt, C. (1993). Théorie de la Constitution. PUF.

12. République de Guinée. (2021). Charte de la Transition. Journal Officiel.

13. Commission de Venise. (2022). Code de bonne conduite en matière référendaire. Conseil de l’Europe.

14. ONU. (1966). Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

15. OUA. (1981). Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

16. Conseil constitutionnel français. (2010). Décision n° 2010-605 DC.

17. Cour constitutionnelle fédérale allemande. BVerfGE, jurisprudence 1951–2020.

18. Constitutional Court of South Africa. Case Law Digest. 2015.

19. Klug, H. (2010). The Constitution of South Africa: A Contextual Analysis. Hart Publishing.

20. International IDEA. (2015). Constitution-Building Primer – Tunisia.

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