Pourquoi supprimer le Certificat d’Études Primaires (CEP) ? (Par Lancinè Marcus Dioubaté)

il y a 5 heures 16
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1. Une évaluation obsolète et inadaptée aux pédagogies contemporaines
Le CEP repose essentiellement sur une épreuve sommative standardisée, centrée sur la restitution de connaissances, souvent en décalage avec les approches pédagogiques modernes qui privilégient l’acquisition de compétences transversales (coopération, résolution de problèmes, pensée critique).
• Selon Philippe Meirieu, l’évaluation doit avant tout être un levier d’apprentissage, c’est-à-dire formative, individualisée et intégrée à la progression de l’élève. Or, le CEP fige la scolarité dans une logique de tri social, contraire à l’éthique inclusive.
• Les travaux de Jean Piaget et Lev Vygotsky montrent que l’enfant construit ses apprentissages par stades de développement et par interaction sociale. Une évaluation rigide et unique comme le CEP ignore la diversité des rythmes d’acquisition.
• En valorisant la mémorisation au détriment de la compréhension, le CEP n’encourage pas l’autonomie ni la créativité, pourtant essentielles dans un monde du travail en pleine mutation numérique.

2. Un filtre injuste et source d’inégalités sociales
• En milieu rural, voire même dans nos grandes villes les élèves subissent de plein fouet les inégalités structurelles : classes surchargées, manque d’enseignants formés, absence de manuels, pauvreté familiale. Le CEP agit comme une barrière sociale, pénalisant les plus vulnérables.
• Le taux d’échec au CEP est particulièrement élevé chez les filles, ce qui renforce les stéréotypes genrés et alimente les mariages précoces.
• Des milliers d’enfants guinéens sortent du système éducatif sans diplôme après un échec au CEP, violant le droit fondamental à une éducation de base gratuite et obligatoire jusqu’à 16 ans (UNESCO, Éducation 2030).
• Le coût social est lourd : exclusion précoce, travail des enfants, reproduction de la pauvreté intergénérationnelle, perte de capital humain pour le pays.

3. Un gaspillage de ressources sans impact éducatif significatif
• Le CEP mobilise chaque année des milliards de francs guinéens, en transport, impression, primes, surveillance, correction. Or, les retombées pédagogiques sont quasi nulles.
• Selon la Banque mondiale (2024), les systèmes éducatifs qui ont abandonné les examens de fin de cycle primaire au profit de l’évaluation continue ont amélioré la qualité de l’apprentissage, notamment en lecture et mathématiques.
• Ce financement pourrait être redirigé vers :
• la formation initiale et continue des enseignants,
• la réhabilitation des écoles,
• l’introduction du numérique éducatif,
• le soutien psychosocial des élèves, encore trop négligé.

II. Quels sont les bénéfices attendus de la suppression du CEP ?

1. Assurer une éducation de base réellement universelle et inclusive
• L’abandon du CEP s’inscrit dans une vision de l’école comme droit, non comme privilège. Il garantira la transition automatique vers le collège, assurant la continuité pédagogique.
• Cela permettrait d’atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD), en particulier l’ODD 4 : une éducation de qualité pour tous d’ici 2030.
• La scolarisation universelle jusqu’au collège réduit les mariages précoces, renforce l’autonomisation des filles et améliore les perspectives de santé et d’emploi des générations futures.

2. Réorienter l’évaluation vers les apprentissages et les compétences réelles
• À la place d’un examen terminal, le système peut s’appuyer sur :
• l’évaluation par compétences (maîtrise de la langue, résolution de problèmes, travail en groupe…),
• des carnets de suivi, où les enseignants notent régulièrement les acquis,
• des projets interdisciplinaires valorisant l’initiative et la transversalité.
• Cette approche est en cohérence avec les orientations de l’OCDE (Rapport PISA), qui insiste sur les “compétences pour la vie” et non les savoirs isolés.
• Elle stimule la motivation intrinsèque des élèves, renforce leur confiance et favorise une pédagogie plus humaine et centrée sur le sens.

3. Moderniser et internationaliser le système éducatif guinéen
• De nombreux pays ont franchi ce cap :
• Sénégal (2016) : le CEP a été supprimé pour réduire les redoublements et favoriser une évaluation continue.
• Ghana : réforme des curricula et suppression progressive des examens de sélection à l’entrée au collège
• Rwanda : mise en place d’un suivi par compétences et d’un passage automatique en fin de primaire.
• France : le Certificat d’études primaires a été aboli en 1989. Les compétences des élèves sont désormais évaluées via le livret scolaire unique.
• Finlande : l’un des meilleurs systèmes éducatifs au monde, sans examen à l’école primaire, mais basé sur la confiance, l’autonomie des enseignants et le soutien individualisé.

III. Recommandations pour accompagner une réforme responsable et efficace

1. Mettre en place des évaluations nationales standardisées par sondage
• Ces évaluations (en 4e ou 6e année) permettent de mesurer les performances du système éducatif sans mettre les enfants sous pression.
• Le Programme d’analyse des systèmes éducatifs (PASEC) de la CONFEMEN pourrait servir de modèle. Il permet d’obtenir des données solides sur les compétences en lecture, calcul, etc.

2. Repenser la formation initiale et continue des enseignants
• La réforme du CEP exige que les enseignants deviennent évaluateurs-formateurs plutôt que simples transmetteurs de savoirs.
• Il faut intégrer dans les ENI et CRFPE une formation en :
• pédagogie différenciée,
• évaluation formative et remédiation,
• gestion de classe active et bienveillante.

3. Adapter l’accueil en collège aux besoins des élèves
• Il faudra prévoir :
• des classes passerelles ou de mise à niveau pour les élèves fragiles,
• un accompagnement psychopédagogique (orientation, écoute, motivation),
• des cantines scolaires pour favoriser la rétention, surtout des filles.

4. Communiquer largement pour mobiliser les parties prenantes
• Une réforme réussie doit être appropriée par les communautés. Il est crucial d’impliquer :
• les enseignants, à travers les syndicats et forums pédagogiques,
• les parents, par des campagnes de sensibilisation sur l’intérêt du nouveau modèle,
• les élus locaux et autorités traditionnelles, souvent influents dans les choix communautaires.

Pour résumer mes observations, réflexions ou analyses,
Supprimer le Certificat d’Études Primaires en Guinée n’est pas un renoncement, mais un acte de courage éducatif, à l’image des grandes réformes structurelles. C’est reconnaître que l’objectif de l’école n’est pas d’exclure, mais de construire.
Dans un monde en transformation rapide, notre système scolaire doit s’adapter pour former des citoyens actifs, critiques et solidaires, capables de relever les défis du développement durable, de l’égalité des chances et de la justice sociale.

En tournant la page du CEP, la Guinée rejoindra les nations qui placent l’enfant au cœur des politiques publiques, non comme un futur travailleur à sélectionner, mais comme un être humain à épanouir pleinement.

Lancinè Marcus DIOUBATE,

Étudiant en M2, sciences de l’éducation à l’Université de Tours( France)

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