L’impossible innocence – Tibou Kamara face à ses contradictions (Par Ousmane Boh Kaba)

il y a 9 heures 47
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Tibou Kamara, ancien ministre, conseiller spécial du Président Alpha Condé, porte-parole du gouvernement jusqu’à sa chute le 5 septembre 2021, dans sa dernière tribune, s’abrite derrière Galilée et Socrate pour dénoncer l’étouffement des vérités dérangeantes. Pourtant, c’est bien lui qui, sous couvert d’érudition, construit un rempart rhétorique contre toute exigence de justice. Son texte, d’une élégance trompeuse, dissimule une entreprise de brouillage des responsabilités qui sert depuis trop longtemps les puissants de ce pays.

Il feint d’oublier que les fusillés de Bambéto ne sont pas des inquisiteurs, que les violées du 28 septembre ne siègent à aucun tribunal populaire. Ces victimes n’ont pour seule arme que leur mémoire meurtrie, et l’attente interminable d’une justice qui ne vient jamais. Tibou Kamara renverse les rôles avec une habileté déroutante : dans son récit, les bourreaux deviennent des persécutés, et les demandeurs de justice, des fanatiques.

Son appel à une « culpabilité collective » n’est qu’un leurre. Bien sûr, tout système criminel repose sur des complicités multiples. Mais cette évidence ne saurait justifier l’effacement des responsabilités individuelles. Entre celui qui donne l’ordre, celui qui exécute, celui qui détourne le regard, et celui qui profite du système, il existe des différences que le droit sait parfaitement établir. Prétendre le contraire, c’est offrir une sortie dorée aux véritables responsables.

Tibou Kamara brandit aujourd’hui la présomption d’innocence comme une amulette, mais son usage est ici profondément immoral. Ce principe sacré ne peut devenir un prétexte à l’inaction judiciaire. Les procès existent précisément pour distinguer les innocents des coupables. Refuser même cette étape, c’est ériger l’impunité en norme constitutionnelle. Et cet ancien journaliste, rédacteur en chef de L’Observateur, sait mieux que quiconque que la Guinée n’a jamais manqué de procès expéditifs pour les faibles. Seuls les puissants bénéficient soudainement de cette prudence procédurière.

Son texte oscille entre deux positions inconciliables. Il appelle à une justice impartiale, tout en affirmant qu’elle est impossible dans un pays où « tout le monde est coupable ». Ce double langage, usé jusqu’à la corde, a servi à justifier tous les renoncements depuis l’indépendance : toutes les amnisties, tous les compromis avec les assassins. Le résultat est là : un cycle infernal où chaque transition enterre les crimes de la précédente, et prépare ceux de la suivante.

L’image des « pieds poussiéreux » dont se pare Tibou Kamara est particulièrement indécente. Certains n’ont pas seulement de la poussière aux pieds, mais du sang jusqu’aux coudes. Entre l’intellectuel qui théorise l’impunité et le milicien qui appuie sur la gâchette, il existe certes une distance. Mais ils participent d’un même système. L’un par ses mots, l’autre par ses actes.

Ce jeu de dupes a assez duré. Quand Tibou Kamara évoque les « esprits libres persécutés », de qui parle-t-il exactement ? Des familles des disparus qui réclament justice depuis des décennies ? Des survivants du Camp Boiro qui attendent encore des excuses officielles ? Ou bien de cette élite intellectuelle et politique qui a toujours su négocier son silence contre des privilèges ? La réponse est dans la question.

L’argument de la « complexité historique » ne tient plus devant l’évidence. Nous savons où sont les charniers. Nous connaissons les noms des tortionnaires. Nous avons les témoignages des survivants. Ce qui manque, c’est la volonté politique de confronter cette vérité. Et c’est précisément cette volonté que le discours de Tibou Kamara cherche à saper, au nom de la nuance, de la prudence et de la modération.

La véritable question n’est pas de savoir si la justice sera parfaite, mais si elle sera enfin rendue. Personne ne demande des procès exemplaires, mais simplement des procès. Personne n’exige une vérité absolue, mais simplement la vérité. Ce minimalisme judiciaire semble encore trop ambitieux pour ceux qui, comme l’ancien président du Conseil national de la communication, préfèrent l’oubli commode à la justice imparfaite.

Questions au peuple. Questions à Tibou Kamara :

Combien de générations devront encore pleurer leurs morts avant que vous ne reconnaissiez que justice retardée est justice déniée ?

Quand cesserez-vous de prendre les Guinéens pour des enfants incapables de distinguer un bourreau de sa victime ?

Vos belles phrases paieront-elles les frais médicaux des survivantes du 28 septembre ?

Croyez-vous vraiment que l’Histoire jugera votre éloquence complice plus clémentement que votre silence complice ?

Au crépuscule de votre vie, regarderez-vous dans les yeux les mères de Bambéto en leur disant que « tout le monde était coupable » ?

L’Histoire jugera cette complaisance. Elle jugera ceux qui, aujourd’hui encore, préfèrent les belles phrases aux actes courageux. La Guinée a assez attendu. Les victimes ont assez patienté. Le temps n’est plus aux faux-semblants et aux arguties. Il est venu de dire la vérité. Il est temps de rendre la justice. Sans elles, aucune paix ne sera possible. Seulement des répits… entre deux massacres.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : briser enfin ce cycle infernal où chaque génération subit les violences que la précédente n’a pas su juger.

L’impossible innocence, ce n’est pas celle des victimes.

C’est celle d’un système qui refuse de rendre des comptes.

Et tant que cette fiction persistera, la Guinée tournera en rond dans une danse macabre où les bourreaux d’hier deviennent les victimes d’aujourd’hui, et les victimes d’aujourd’hui les oubliés de demain.

Ousmane Boh KABA

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