Ressaisissons-nous ! (Par Tibou Kamara)

il y a 2 heures 16
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Qui n’a jamais eu mal à la Guinée ? Qui peut être fier d’être citoyen d’un pays où l’on ne sait plus s’indigner, où l’on laisse tout faire, où l’on permet tout à tout le monde ? Qui ne ressent pas de la douleur à l’idée d’appartenir à une société qui ne frémit pas devant certains actes inappropriés et malfaisants, qui ne s’offusque pas de propos indécents, de déclarations incongrues et incendiaires ?
Puis on s’étonne que tout soit sens dessus dessous, que les travers soient la chose la mieux partagée, que les honnêtes gens soient harcelés et invectivés par les canailles, que les sujets brillants et les personnes intègres se retrouvent marginalisés et écrasés, que les plus méritants soient mis à l’écart au profit des plus bavards et accommodants. Bref, dans une société complaisante et résignée, il n’y a ni exigences morales, ni valeurs sacrées, ni émulation saine : il n’y a que frustrations, vexations, colères et rancœurs. La révolte découle toujours d’un effet d’agacement et de saturation. On ne parle plus des luttes des classes, qui alimentaient autrefois toutes les tensions sociales. Nous sommes désormais plongés dans un contexte de batailles de positionnement et de querelles d’ambitions qui abîment la République, dénaturent le débat, inhibent les meilleures énergies, les grands esprits, les fortes intelligences.
Est-ce tout cela que Dostoïevski avait pressenti pour nous alerter, lorsqu’il disait : « La tolérance atteindra un tel niveau que les personnes intelligentes seront interdites de toutes réflexions pour ne pas offenser les imbéciles » ? En sommes-nous déjà là, ou en courons-nous le risque ?
Chacun est libre d’y répondre. En attendant, la confusion continue de régner, le malaise est réel, le mal est plus profond et pernicieux encore qu’il n’y paraît.
Lorsqu’on veut définir avec bienveillance et élégance une personne ayant perdu la raison, on dit qu’elle ne s’impose plus aucune censure. Prosaïquement, on dit qu’elle n’a plus de “freins” : ni limites, ni pudeur, ni conscience. Qui est fou, qui ne l’est pas ? La retenue a-t-elle encore un sens, une importance, ou le laisser-aller et le libre arbitre ont-ils triomphé ?
Le mal de la démocratie, qui ne fait de bien à personne et nuit considérablement à la collectivité, c’est la liberté reconnue à chacun de s’exprimer sans tabous ni trop de restrictions. C’est la latitude donnée à chacun de toiser les puissants, de se mesurer aux plus valeureux et représentatifs de la société. Alors que les hommes ne seront jamais égaux que par principe et en apparence, ni comparables les uns aux autres, on entretient l’illusion que tous se valent. Pourtant, certains seront toujours au-dessus des autres. L’égalité des chances reste un leurre, la justice sociale un éternel mirage. La nature a ses lois, les hommes ont leurs tares. L’injustice commence dès la naissance et demeure ancrée en chacun, comme le rappelle Frédéric Mistral : « Les cinq doigts de la main ne sont pas tous égaux ». En revanche, les comportements déviants, la délinquance publique, n’ont rien de naturel ni de congénital. C’est un choix de vie ou de carrière.

QUAND L’OUTRANCE BALAFRE LA RÉPUBLIQUE

En politique, on retrouve les mêmes pratiques permissives qui minent le pays, car la vie publique est tributaire des mœurs en cours. Heureusement que d’une élection à l’autre, grâce au bulletin de vote, on peut recaler certains, bannir d’autres. Dans les urnes, on peut exprimer une préférence, faire un choix discriminant et discriminatoire, qui n’est souvent qu’une forme de “sanction”. Dans ce cas de figure, personne ne peut trouver à redire ni crier au scandale.
C’est dans le débat public qu’on refuse d’admettre un ordre de préséance défini. On ne veut pas entendre parler de primauté ou de supériorité. Nul ne peut empêcher un autre de prendre la parole même s’il ne pèse rien, ne représente personne, et que ce qu’il dit manque de substance, de rigueur intellectuelle et d’éthique.
Aussi, subissons-nous, à longueur de journée, la violence et l’affront insupportables de déclarations et prises de position tapageuses et peu orthodoxes, qui donnent à désespérer de l’espèce humaine. On est tenté de croire que le droit de parole et la liberté d’expression accordés à tous sont pour beaucoup un prétexte parfait pour heurter l’opinion et la conscience publiques. On se permet toutes les transgressions, au-delà de toute mesure.
Certains acteurs ont fait de l’impudence et des outrances leur ADN politique et leur marque distinctive, si ce n’est leur identité remarquable. D’autres, qui se réclament leaders et faiseurs d’opinion, convaincus d’être doués pour la rhétorique et les polémiques, ne se fixent plus de limites, ne s’encombrent d’aucun scrupule dans leurs prises de parole. Et pourtant, l’espace public est sacré et ne peut être considéré comme le réceptacle de toutes les infamies et de la déchéance humaine. « Tout est permis ne veut pas dire que rien n’est défendu », met en garde Jean-Paul Sartre.
Depuis quelque temps, à en juger par tout ce que l’on entend, lit et voit, tout semble permis, et plus rien n’est défendu.
Les pouvoirs publics devraient être les premiers à se préoccuper des penchants répréhensibles et des dérives, car si la chienlit règne, c’est l’ordre public et la paix sociale qui seront troublés, c’est l’anarchie qui finira par s’installer. Surtout lorsque ceux qui dépassent les limites et brillent dans les excès, pour jouir de l’impunité, se rangent derrière le pouvoir en place, s’affilient aux dirigeants. Il vaut mieux chercher des partenaires pour construire la paix que subir des alliés qui veulent nous entraîner dans la guerre.
Si le ton libre est autorisé, la violence verbale ne doit pas prospérer, la délinquance politique ne devrait pas être tolérée. Il est aussi périlleux de laisser transgresser les valeurs communes que de donner le sentiment que certains sont au-dessus de la loi tandis que d’autres sont vulnérables, en fonction du camp auquel ils appartiennent et du bord qu’ils ont choisi de défendre.
Tibou Kamara

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