La nouvelle constitution guinéenne : au service du peuple ou des intérêts des plus forts ? [Par Dr. Ibrahima Chérif]

il y a 6 heures 42
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Depuis toujours, la constitution est pensée comme la première digue destinée à protéger les plus faibles contre l’arbitraire des plus forts. Pourtant, l’expérience guinéenne, à l’instar de plusieurs contextes africains et extérieurs, montre que cette promesse protectrice s’inverse souvent : le cadre juridique finit par consolider ceux qui détiennent déjà l’autorité plutôt que ceux qui en ont le plus besoin. Ce paradoxe, nous l’avons souvent abordé avec passion dans nos échanges entre nos amis étudiants en droit de l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia (promotion 2010–2013) et nous (étudiants en sciences politiques), lors de débats enrichissants et critiques.

Sur le plan théorique, la constitution ou la loi vise le bien commun ; mais, dans la pratique, elle se révèle souvent façonnée ou interprétée pour conforter les privilèges des élites. Cette dérive ne relève pas uniquement de la lettre des textes : elle tient aussi aux institutions chargées de les produire, de les appliquer et de les contrôler, lesquelles reproduisent les rapports de domination qu’elles prétendent réguler.

La Constitution, miroir déformant des intérêts du pouvoir

Nul dirigeant ne rédige une constitution contre ses propres intérêts. Les procédures d’amendement, la durée et la limitation des mandats, l’étendue des prérogatives présidentielles : autant de variables ajustées pour pérenniser, parfois légitimer, l’emprise du pouvoir en place. C’est pourquoi, un texte demeure lettre morte sans la force morale et politique qui en garantit le respect. Lorsqu’un peuple découvre que sa charte fondamentale sert d’abord à verrouiller le palais, l’esprit civique décline et la défiance s’enracine.

Le prisme réducteur du débat public

Quand un projet constitutionnel est soumis à la consultation, l’attention populaire se concentre presque exclusivement sur le mode d’élection du chef de l’État et la durée de son mandat. Cette focalisation, logique mais réductrice, relègue les dispositions sociales et économiques, droit à l’éducation, à la santé ou au travail au second plan. C’est pourtant sur ces chapitres que se joue le quotidien national. Négliger ces fondations revient à bâtir une maison dont seule la charpente paraît solide.

La constitution est la vie d’un peuple. Il est donc normal de comprendre chaque article, chaque mot, chaque virgule, chaque point avant de l’approuver. Alors, le peuple guinéen doit être sûr d’avoir compris le contenu de sa propre constitution. Un texte mal compris est un texte subi. Jean-Jacques Rousseau Rousseau affirmait : « La loi est l’expression de la volonté générale ». Encore faut-il que cette volonté soit éclairée. Lorsque la majorité approuve sans maîtriser chaque article, elle s’expose à un régime de « surprises juridiques », découvrant tardivement des clauses ambiguës qui limitent ses droits. À long terme, l’incompréhension nourrit la frustration et alimente les crises sociopolitiques.

Le cas guinéen : des constitutions en fuite en avant

Depuis l’indépendance, la Guinée a connu plusieurs constitutions, chacune présentée comme le socle d’une ère nouvelle. Leur succession rapide modifications, révisions, référendums souvent contestés a produit un récit discontinu où la loi fondamentale apparaît comme un contrat temporaire entre factions dominantes plutôt qu’un pacte pérenne unissant la nation(chaque dirigeant/régime politique modifie ou change la constitution à sa guise personnelle). Chaque relecture opportuniste fragilise l’autorité de la norme suprême et attise le scepticisme populaire : pourquoi croire au caractère sacré d’une constitution si elle reste malléable à l’envi ?

La première mission de l’État, avant toute ratification, est de garantir une appropriation citoyenne intégrale du projet constitutionnel. Cela suppose de traduire le texte dans toutes les langues nationales, d’organiser des lectures publiques dans les quartiers, villages, lieux de culte et marchés, de produire des supports pédagogiques multimédias bandes dessinées, émissions radiophoniques, capsules vidéo adaptés aux réalités socioculturelles, et d’associer activement la société civile et les universités, seules à même d’assurer la pluralité d’analyse indispensable. C’est à ce prix que la constitution cessera d’être un instrument technocratique pour devenir un bien commun compris et accepté en connaissance de cause.

Une constitution parfaite n’effacera pas, à elle seule, les inégalités et les abus de pouvoir. Toutefois, un texte clair, partagé et respecté réduit drastiquement la marge de manœuvre des gouvernants tentés par l’autoritarisme ; il crée un horizon de prévisibilité où chaque citoyen connaît ses droits et devoirs, tout comme l’État, ses obligations. La stabilité d’une république se mesure ainsi à la confiance mutuelle qui anime ses institutions et ses gouvernés.

L’art de bâtir un futur commun

L’histoire récente de notre pays montre qu’aucune société ne progresse durablement sur les ruines de sa propre loi fondamentale. La constitution incarne la promesse d’un avenir partagé ; si cette promesse est trahie, le vivre-ensemble s’effrite. Il revient donc à chaque génération, aux dirigeants comme aux dirigés, de veiller jalousement à l’intégrité de ce contrat collectif. Une constitution comprise, respectée et incarnée n’est plus un parchemin juridique ; elle devient la charpente vivante d’une nation résolue à protéger les faibles autant qu’à responsabiliser les forts.

Enfin, Il est sérieux que les citoyens guinéens s’approprient de leur constitution dans toutes ses dimensions, avec l’appui des pouvoirs publics afin d’éviter qu’elle ne se retourne pascontre eux un jour. Comme le rappelle Rousseau, chacun est responsable de ce qu’il approuve.

Dr. Ibrahima CHERIF,

Analyste politique, Chercheur en Sciences Politiques et Administration Publique

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