Faya Millimouno : « Un système est en place pour confisquer le pouvoir en Guinée »

il y a 1 semaine 56
PLACEZ VOS PRODUITS ICI

CONTACTEZ [email protected]

Dans un entretien accordé à Guinee360, le président du Bloc libéral dénonce l’opacité entourant le dernier recensement, dont le fichier doit servir au référendum et à la présidentielle. Il pointe une répartition inéquitable du matériel électoral, y voit une stratégie de manipulation du scrutin et appelle à un audit urgent pour sauver le processus.

Guinee360 : Premier ministre Bah Oury a annoncé que le fichier issu du dernier recensement servira à la fois pour le référendum et pour la présidentielle. Qu’en pensez-vous?

Faya Millimouno : Cela pose d’énormes problèmes, car nous avons dénoncé l’opacité dans laquelle le processus a débuté. Une solution informatique a été recrutée avec des machines censées fonctionner à l’énergie solaire, sans aucune concertation ni dialogue, dans la plus grande opacité. Lorsque ces machines sont arrivées, nous avons constaté que toutes les données manipulées au cours des 15 dernières années étaient déjà stockées dans les ordinateurs. Nous connaissons les chiffres de 2010, 2015, 2018 et 2020. Dès la répartition des kits, nous avons compris qu’il se construisait, à l’insu des Guinéens, quelque chose de potentiellement très dangereux. Nous avons alerté, dénoncé, et formulé des recommandations ainsi que des propositions de solutions. Mais nous n’avons pas été entendus. Les chiffres que nous avons présentés aux Guinéens en témoignent : l’ensemble de la région administrative de Labé avait le même nombre de kits que Siguiri. La région administrative de Faranah en avait moins que Kankan. Mamou en avait moins que Kouroussa. Guéckédou, Macenta, Nzérékoré, Yomou et Lola avaient tous un nombre de kits inférieur à Kankan.

Ainsi, il n’a pas été surprenant de voir les chiffres du fichier qui nous a été imposé. Quand 1 500 et quelques kits ont été envoyés dans la région administrative de Kankan, alors que la région de Conakry — la plus peuplée du pays, encore agrandie par le CNRD au-delà de Sonfonia, Lansanaya Barrage et Manéah — n’en recevait que la moitié, cela en dit long sur ce qui se prépare. Nous avons même poussé la comparaison à l’intérieur même des régions.

Qu’avez-vous constaté ?

Dans la région de Kankan, la troisième préfecture la plus peuplée est Mandiana. Mais en raison du mécontentement suscité par la disparition brutale d’un fils de Mandiana [Général Sadiba Koulibaly, Ndlr], on pouvait s’attendre à moins d’enthousiasme de cette préfecture que de Kérouané, la moins peuplée. Curieusement, c’est Mandiana qui a obtenu le plus petit nombre de kits (157), tandis que Kouroussa, quatrième sur cinq en population, en recevait 267, et Kérouané 210. Autre exemple : Guéckédou et Kissidougou. Comme je suis originaire de Guéckédou, on pense que le soutien pour moi y serait plus fort qu’à Kissidougou. Résultat : Guéckédou a eu moins de kits (98) que Kissidougou (225), alors que le recensement de 2014 donnait Guéckédou plus peuplé. Quel que soit l’angle d’analyse, on arrive à la même conclusion : il s’agit de mettre en place un système pour confisquer le pouvoir. Si on écarte cette dimension, rien ne peut expliquer ces choix.

Que faut-il faire pour que le fichier soit crédible ?

Il faut réaliser un audit pour identifier toutes les faiblesses, autour d’une table de dialogue réunissant tous les acteurs concernés. Ensemble, nous pourrons envisager des solutions communes pour corriger les insuffisances. C’est la seule voie pour sauver le processus.

À défaut… ?

Si on continue ainsi, je ne sais pas à quoi ressembleront les prochaines élections en Guinée. Peut-être aux élections actuelles de la Côte d’Ivoire… Or, nous devrions tout faire pour laisser derrière nous ce type de pratiques. Ceux qui dirigent aujourd’hui en Europe, en Asie, aux États-Unis ou au Canada ont fréquenté les mêmes écoles que nous. Certains étaient moins bons élèves que moi à l’université, mais aujourd’hui ils font le bonheur de leur peuple. Ici, dès qu’on revient, c’est comme si on tombait dans une spirale d’amateurisme et d’oubli. L’ancien Premier ministre Mohamed Béavogui en a fait l’expérience : après des décennies au système onusien avec des bilans salués, il est revenu en Guinée et c’était comme s’il n’avait jamais rien appris. Voilà la Guinée que nous combattons. Ma démarche n’est pas politique : je crois en ce pays, je l’aime, et chaque fois que je vois un danger à l’horizon, j’alerte et je propose des solutions.

Soupçonnez-vous la junte de vouloir manipuler le processus électoral ?

C’est le moins qu’on puisse dire. Nous sommes déjà largement engagés dans cette voie. Depuis la création d’une Direction générale des élections, j’ai dit au général que ce n’était pas la bonne direction. La CENI n’est pas née par hasard : avant, le ministère de l’Administration du territoire organisait les élections et nous avons frôlé le pire. Pour éviter cela, nous avons mis en place un organe indépendant. L’erreur a été de croire que l’administration publique et la société civile étaient au-dessus de la mêlée. Ce n’était pas le cas. Cela fait plus d’une décennie que le Bloc libéral réclame une CENI technique composée de personnes choisies pour leurs compétences et leur intégrité, comme au Ghana ou au Liberia. Au lieu de cela, on nous ramène vers l’organisation des élections par l’administration, et on ose évoquer le Sénégal.

Pourquoi ce qui marche au Sénégal ne marcherait-il pas en Guinée ?

Parce que le Sénégal dispose d’une administration professionnelle. Là-bas, un ministre nommé par Diouf a organisé des élections que Diouf a perdues. Idem pour Wade et Macky Sall. En Guinée, nous n’en sommes pas là. Si on veut copier le Sénégal, il faut copier aussi ses réformes : Macky Sall a réduit le mandat présidentiel de 7 à 5 ans. Chez nous, il y a péril en la demeure et il est urgent que tout le monde se réveille, y compris les religieux. Comme l’a dit un penseur : « Un peuple qui met à sa tête des renégats n’est pas un peuple victime, c’est un peuple complice. » C’est la situation de la Guinée depuis des décennies.

L’élection présidentielle pourrait se tenir sans les grands partis comme le RPG, l’UFDG ou l’UFR. Quelle est votre lecture ?

En 66 ans, la majorité de nos compatriotes reste analphabète et ne comprend plus nos incohérences. Le CNRD a cru à sa popularité en distribuant des véhicules alors que certains n’ont pas à manger. Les mouvements de soutien se sont multipliés, puis ont disparu, laissant le CNRD seul avec quelques proches. J’avertis le président Mamadi Doumbouya : ceux qui vous encensent aujourd’hui seront les premiers à vous attaquer demain. C’est arrivé à Alpha Condé, à Lansana Conté, au CNDD. Monsieur le Président, le peuple peut tout vous pardonner, mais n’empruntez pas la voie qu’on vous indique, c’est un piège.

Plus de trente personnes sont mortes dans les inondations. Votre réaction ?

Beaucoup de familles vivent dans des zones impropres à l’habitation. L’État doit identifier des sites sûrs et y reloger les populations, plutôt que de se contenter de démolir comme à Koloma ou Kaporo Rails. Il existe des villas vides appartenant à des personnes qui ont détourné de l’argent. On pourrait les réquisitionner temporairement. En fiscalité, la contribution foncière unique est à 1 %, ce qui est dérisoire. Pourtant, le foncier est une richesse qui pourrait financer écoles et infrastructures.

Y a-t-il des concertations entre le Bloc libéral et les autres formations politiques opposées à la transition ?

Oui, je suis en contact avec de nombreux partis, mouvements et plateformes. Mais il faut aller au-delà des regroupements pour créer une structure unie et solide. Tout le monde fait le bon constat et de bonnes propositions, mais le comportement de certains trahit leur discours. Nous devons faire une introspection sincère : une valeur ou un principe ne change pas comme un caméléon. Nos contradictions sapent notre crédibilité. Quand je critiquais Alpha Condé, ce n’était pas personnel : son échec était un recul pour toute la classe politique guinéenne. Si les Guinéens finissent par nous dire : « Laissez-nous en paix avec votre politique », ce sera de notre faute.

L’article Faya Millimouno : « Un système est en place pour confisquer le pouvoir en Guinée » est apparu en premier sur Guinee360 - Actualité en Guinée, Politique, Économie, Sport.

Lire l'article en entier