De Conakry à Riyad à vélo : au cœur de l’odyssée d’un cycliste guinéen sur la route de la Oumra

il y a 3 heures 17
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Du 6 mai 2024 au 4 février 2025, Thierno Mamadou Kadialiou Barry s’est lancé dans un défi pour le moins exceptionnel : accomplir le pèlerinage à La Mecque… à vélo. Parti de Guinée, plus précisément de Conakry, il a pédalé jusqu’à Riyad, capitale de l’Arabie Saoudite.

Ce périple hors du commun faisait suite à un autre exploit : en 2024, avec quelques compagnons, il avait marché de Conakry à Abidjan pour soutenir le Syli national de Guinée, alors en compétition. Fort de cette expérience, il s’est fixé un nouvel objectif ambitieux : rallier les lieux Saints de l’islam à bicyclette. Interrogé à son retour par Guinéenews, Thierno Mamadou Kadialiou Barry raconte son aventure, étape par étape.

Guinéenews : Thierno Mamadou Kadialiou Barry, rappelons que vous êtes originaire de Diafouna, dans Kébaly (Dalaba). On apprend que vous avez effectué le voyage jusqu’à La Mecque cette année… à vélo, pour participer au Hadj. D’où vous est venue cette motivation ?

Kadialiou Barry : tout a commencé lors de la dernière Coupe d’Afrique des Nations (CAN), qui s’est jouée en Côte d’Ivoire. J’étais parmi ceux qui avaient décidé de faire le trajet Conakry–Abidjan à pied, pour soutenir l’équipe nationale de Guinée. Après ce périple, réalisé uniquement pour le football, je me suis fixé un nouvel objectif : aller à La Mecque pour le pèlerinage.

C’est vrai que je n’ai pas les moyens financiers, mais je me suis dit : « si j’ai pu faire Conakry–Abidjan juste pour le football, alors je peux aussi faire Conakry–Arabie Saoudite pour Dieu. » Après la CAN à Abidjan, j’ai donc acheté un vélo pour environ 400 000 FCFA. Comme je ne maîtrisais pas encore bien le vélo, j’ai d’abord fait un test : Abidjan–N’Zérékoré en six jours, puis N’Zérékoré–Conakry.

Une fois à Conakry, j’ai tenté d’obtenir un visa pour l’Arabie Saoudite, mais l’ambassade m’a orienté vers la Ligue islamique. Là aussi, échec : on m’a demandé 70 millions GNF pour un visa touristique. Devant ces obstacles, j’ai décidé de tenter ma chance autrement.

Guinéenews : finalement, vous êtes parti sans visa ?

Kadialiou : oui ! J’ai quitté Conakry et atteint Lagos après 20 jours de voyage. De là, j’ai continué jusqu’à Abuja, toujours en 2024. Mais comme le Hadj 2024 allait bientôt débuter, je me suis arrêté là. Après le pèlerinage, je suis rentré en Guinée en juillet 2024.

En octobre 2024, j’ai repris la route avec l’intention d’arriver à temps pour le Hadj 2025. Je suis retourné à Abidjan, puis j’ai traversé la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo, et atteint le centre du Nigeria. Mais, vu l’insécurité au Tchad et la guerre au Soudan, il fallait absolument prendre l’avion pour rejoindre l’Égypte.

J’ai atteint Le Caire le 3 janvier 2025. J’y suis resté deux semaines, le temps d’obtenir une carte de séjour, avant de continuer à vélo pour traverser l’Égypte sur 522 km. Mais dans le désert, le froid et l’éloignement des villes rendaient le trajet dangereux. La police m’a conseillé d’arrêter et m’a transporté sur environ 300 km, de barrage en barrage, jusqu’à Safaga, dans le sud du pays.

Guinéenews : vous suiviez toujours votre plan initial ?

Kadialiou : Oui ! Mon idée était de prendre le bateau à Safaga pour rejoindre l’Arabie Saoudite. Mais sur place, on m’a demandé un visa que je n’avais pas. Même après en avoir trouvé un, on m’a refusé l’accès : seuls les Égyptiens peuvent entrer par mer grâce à une convention spéciale.

La police m’a donc renvoyé au Caire pour prendre un avion. C’est ainsi que j’ai atterri à Djeddah le 3 février 2025. Comme la Mecque n’est qu’à 90 km, j’ai pris un taxi et effectué le petit pèlerinage (Oumra). Ensuite, j’ai remonté mon vélo, démonté pour le transport, et je suis retourné à Djeddah pour présenter mon parcours au consulat de Guinée.

J’ai expliqué que j’avais un visa spécial Oumra, mais que je voulais aussi faire le grand pèlerinage. Ils ont tenté de m’inscrire comme guide auprès de la Ligue islamique, mais cela n’a pas abouti.

J’ai alors pris mon vélo pour Riyad, à environ 1 000 km. Là encore, on m’a promis une aide pour obtenir le visa, mais sans succès. Mon séjour touchant à sa fin, j’ai dû quitter l’Arabie Saoudite et retourner en Égypte le 27 avril 2025.

Guinéenews : donc, vous avez renoncé au grand pèlerinage ?

Kadialiou : pas tout de suite. Je suis resté en Égypte dans l’espoir de trouver un visa. Après l’expiration de ma carte de séjour, j’ai négocié avec une agence privée : elle me demandait 3 000 dollars. J’ai versé 1 000 dollars d’avance. Mais, cinq jours avant le Hadj, ils m’ont annoncé que le prix passait à plus de 7 000 dollars, sans compter le billet d’avion aller-retour et l’hébergement.

C’était impossible pour moi. Je n’ai donc pas pu faire le grand pèlerinage, mais je rends grâce à Dieu d’avoir accompli au moins l’Oumra. Je remercie toutes les personnes qui m’ont soutenu, notamment François Kamano et bien d’autres qui préfèrent rester anonymes.

Guinéenews : comme vous ne connaissiez certainement pas la route, comment avez-vous réussi à vous orienter durant ce long voyage ?

Kadialiou Barry : j’ai utilisé Google Maps du début à la fin du trajet. Pour mes escales dans les grandes villes, je logeais dans des hôtels. Je pédalais de 5 heures du matin jusqu’à 19 heures. Parfois, j’arrivais dans des localités sans hôtel. Dans ce cas, on me conseillait de poursuivre jusqu’à la ville suivante, située à quelques kilomètres, ce qui m’amenait parfois à rouler jusqu’à 21 ou 22 heures. Côté repas, j’achetais à manger dans chaque ville avant de reprendre la route. Voilà, en résumé, comment je me suis organisé tout au long du périple.

Guinéenews : ce voyage vous a coûté combien et quels documents avez-vous mobilisés pour le faciliter ?

Kadialiou Barry : sur le plan administratif, je suis parti de Guinée uniquement avec mon passeport, que j’ai présenté à toutes les frontières de l’espace CEDEAO. Je donnais 2 000 francs CFA aux policiers pour passer. Je n’ai pas rencontré de difficultés particulières, car j’étais déjà informé des procédures. Mes prévisions financières ne suffisaient pas à elles seules, mais, heureusement, beaucoup de gens m’ont aidé. Certains m’envoyaient même de l’argent en voyant mes publications sur Facebook.

Guinéenews : et au total, combien avez-vous dépensé ?

Kadialiou Barry : de Conakry à l’Arabie saoudite, j’ai dépensé au moins 6 500 dollars. Cette somme a servi à financer l’achat de deux vélos, les frais d’hôtels, la nourriture, les visas et les titres de séjour. Entre le 6 mai 2024 et le 4 février 2025, j’ai dépensé quotidiennement pour poursuivre ce voyage.

Guinéenews : vous faisiez donc des vidéos durant tous vos trajets ?

Kadialiou Barry : oui, je filmais régulièrement pour informer de ma position. Cela permettait à mes abonnés de savoir que j’allais bien, car des accidents ou des enlèvements peuvent survenir. Ces vidéos m’ont même aidé avec la police égyptienne. Un jour, seul dans le désert, j’ai été interpellé et ils ont trouvé la situation suspecte. Je leur ai montré mes vidéos et les tampons de mon passeport, ce qui a permis de me libérer.

Guinéenews : et vous n’avez jamais dormi en pleine brousse ?

Kadialiou Barry : si, une fois au Nigeria. Je n’avais plus de monnaie locale et l’hôtel a refusé mes CFA et mes dollars. J’ai donc passé la nuit dans une station-service où l’on s’est bien occupé de moi. Heureusement, je n’ai jamais dormi en pleine brousse et je n’ai pas rencontré de malfaiteurs. Globalement, je peux dire que je n’ai pas eu de grandes difficultés.

Guinéenews : vous avez précisé que ce n’est pas votre première expérience. Vous êtes déjà allé à Abidjan à pied, et cette fois-ci en Arabie Saoudite à vélo pour le petit pèlerinage. Seriez-vous prêt à refaire ce périple pour le grand pèlerinage ?

Kadialiou Barry : mon souhait est de demander à Dieu de m’accorder les moyens financiers pour acheter un billet d’avion et accomplir le Hadj. Ce que j’ai dépensé sur la route équivaut au prix du Hadj, environ 6 500 dollars, alors que celui-ci coûte 55 millions de GNF. Je ne suis pas prêt à refaire un tel voyage, compte tenu de tous les risques que j’ai affrontés. Mais alhamdoulilaye, Dieu m’a protégé et je suis rentré sain et sauf. La prochaine fois, je souhaite effectuer le pèlerinage en avion.

Guinéenews : quels conseils donneriez-vous à ceux qui envisageraient de suivre votre exemple ?

Kadialiou Barry : je leur conseille de bien y réfléchir. Beaucoup pensent qu’avec le vélo, il n’y a pas de dépenses. Mais vu ce que j’ai dépensé, il serait plus judicieux de prendre l’avion. J’ai choisi de partir à vélo parce que j’avais déjà fait Conakry-Abidjan à pied uniquement pour le football. Je me suis donc dit qu’il devenait presque une obligation pour moi d’aller à La Mecque. C’est devenu un devoir personnel.

Propos recueillis par Alaidhy Sow, pour Guineenews.org

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