Témoignages sur le village de Kaporo (Par F. M. Soumah)

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A la suite du décès anniversaire du Patriarche El Hadj Amara Soumah, le 8 mai dernier, je suis allé à la rencontre de quelques personnes, pour recueillir des témoignages sur mon village de Kaporo, devenu la capitale du pays. C’est une restitution fidèle qui s’impose à moi.

Après Manga Sangaré le fondateur, Kaporo est l’un des tout premiers villages établis sur l’actuel territoire de Conakry, avec Tombolia et Nongo, dans la configuration ancienne, aujourd’hui disparue ou absorbée par l’urbanisation.
Les localités du Carrefour Cosa jusqu’à Kakimbo, faisaient partie de ce vaste ensemble appelé Kaporo.
Le nom Kaporo vient du mot « Köpörö », qui signifie « lieu de séchage de poissons », en référence à l’activité principale de ses habitants : la pêche, la cueillette et l’agriculture.
Kaporo a été fondé par Manga Sangaré, fils de Soumba Toumani, souverain du royaume de Dubréka au début des années 1600. Comme tous les villages Baga, il se trouve en bordure de mer, car ce peuple entretient une relation vitale avec l’eau.

Soumba Toumani avait quatre fils, dont Kanta, Demba et Sangaré, qui ont donné naissance à plusieurs grandes familles : Kantaya (Koba, Kolisokho…) Dembaya (Coyah, Filiguni…) et Sangaréya (Kaporo, Sobané, Kakissa…).
Ainsi, Kaporo s’inscrit dans une histoire vieille de plus de 400 ans, enracinée dans les dynasties de Dubréka.
Entre 1922 et l’abolition de la chefferie traditionnelle, Kaporo a servi de capitale coutumière de Conakry.
Tous les documents administratifs passaient par le canton spécial de Kaloum, dont le chef siégeait à Kaporo. Le dernier chef de canton fut Almamy Kala Soumah, intronisé en 1922.

À cette époque, le canton s’étendait de Kassa au km36, couvrant toute l’actuelle presqu’île de Kaloum.
Contrairement à la croyance populaire, la colonisation de la Guinée n’a pas duré 60 ans, mais a véritablement débuté dès 1880, avec la signature d’un traité de protectorat entre Bademba, souverain de Dubréka, et les autorités coloniales françaises : « Je place mon peuple sous la protection de la France. Je ne prendrai plus une décision sans votre accord. » Ce traité entraîna le démantèlement du royaume de Dubréka, remplacé par un cercle administratif dirigé par des commandants français.

L’autorité coloniale s’étendit progressivement à Conakry, alors que les campagnes militaires se poursuivaient au Foutah contre Samory Touré et M’Bemba Édiyo.

Très tôt, les Bagas se sont adaptés à la présence coloniale. Beaucoup ont appris le français, intégré l’administration et joué un rôle central dans l’éveil politique du pays. L’un des plus célèbres était Amazon Party, Baga et pionnier de la contestation intellectuelle.

Dans les années 1920, les autorités coloniales imposaient un impôt en nature. Mais les habitants de Kaporo finirent par refuser catégoriquement. Une délégation de 150 soldats fut envoyée pour les contraindre, mais à l’entrée du village, ils furent mystérieusement bloqués. Le chef, déterminé, déclara : « Je ne peux pas reculer. J’ai promis d’entrer. » Porté en hamac, il tenta de franchir l’entrée, mais les cordes cédèrent brusquement. Il tomba et succomba quelques heures plus tard, malgré l’intervention des médecins français.

Le pouvoir resta vacant jusqu’en 1922, lorsque les sages désignèrent Almamy Kala comme nouveau chef coutumier.

Amara Soumah, natif de Kaporo et descendant direct de Manga Sangaré, fut une figure influente du début du XXe siècle.

Lors d’une inspection, les autorités coloniales virent des villageois enchaînés au soleil pour non-paiement d’impôts. Amara les rejoignit et s’interposa : « Ce sont mes parents. Comment puis-je les laisser souffrir ? » Impressionné par cette attitude et de fil en aiguille, le gouverneur abolit l’impôt indigène. La vérité historique lui accorde cette paternité, tout comme le Droit Coutumier imposé au colonisateur et le plan directeur de la capitale. Kaloum était la plus belle ville de la sous-région : routes bitumées, hôpital, université, établissements publics, espaces verts, avec le plateau de Koloma comme le centre de Kaloum, qui n’a rien à voir avec le réduit actuel. Il avait le souci de libérer son peuple et lui accorder son autonomie.

Ce qui fit de lui un héros populaire, mais aussi un ennemi des chefs coutumiers, qui percevaient 60 % des revenus de cet impôt.

Avec Madéra Keïta, Amara Soumah cofonda le PDG-RDA et en devint le vice-président. L’administration intima à chaque responsable de rejoindre son pays. C’est ainsi que Madéra retourna au Soudan et céda la place à Amara Soumah, qui fut le 1er Secrétaire Général par intérim du PDG.

Le mouvement syndicaliste et les velléités révolutionnaires s’appuyèrent sur les chefs coutumiers revanchards qui affirmaient : « Amara ne veut pas de l’indépendance. Nous, on la réclame pour la prospérité de tout le peuple. » Amers, déçus de leur mentor et séduits à l’idée de retrouver leurs lustres d’antan, les chefs coutumiers le lâchèrent.

Amara, isolé et rejeté, rentra à Kaporo : « Le garçon que j’ai présenté vous a trahi ! » Mais la communauté Baga lui rétorqua : « C’est toi qui nous as trahis, car c’est toi qui nous l’as amené. » C’est ainsi que les chefs coutumiers revanchards, lui tournèrent le dos.

Cette fracture provoqua la guerre civile de Herria, l’un des épisodes les plus sanglants de l’histoire de la Basse Guinée.

Le conflit fit plusieurs milliers de morts, et reste aujourd’hui largement ignoré dans les livres d’histoire.

Bien que Gaulliste chevronné, Amara Soumah voulait protéger son peuple contre la pauvreté, la domination et l’injustice. Il s’est dressé contre l’ordre colonial, contre l’oppression économique, et même contre ses propres intérêts politiques.

Quand la France voulu l’imposer face à ces quelques troublions, il rétorqua fermement son opposition et argua le fait qu’il n’allait pas gouverner des cimetières. « Il y a eu trop de morts pour rien. Je décline votre offre. »
Par la suite, il fut exfiltré vers le Sénégal, avec toute sa famille. Comme il avait déjà commencé sa carrière de banquier à la BAO de Conakry, il put intégrer la Banque Internationale pour l’Afrique Occidentale (BIAO) à Dakar.

De nouvelles tensions entre les 2 pays, le coupèrent de sa famille et prolongèrent son exil en France, où il travailla jusqu’à la retraite, pour ne pas donner raison à ceux qui le traitaient de laquais de l’impérialisme.

Ni l’âge, ni la situation confortable de ses enfants et petits-enfants, encore moins la pression de toutes parts, n’eurent raison de lui. Il résista envers et contre tout.

Mais il n’a pas pu refuser la reconnaissance de la France, à travers l’octroi de la nationalité, la médaille de la résistance, l’ordre du mérite et la légion d’honneur, entre autres.
Ces distinctions qui datent de 1944, démontrent la place qu’occupait notre pays, dans l’effort de guerre et au lendemain de la victoire des alliés.

Contrairement à ses compagnons d’infortune qui sont inhumés à Dakar pour la plupart, il a eu la chance de terminer ses jours en Guinée. Il repose en paix dans la concession familiale de Kaporo, depuis le 8 juin 1989.

C’est ce « destin guinéen » magnifié par mon défunt frère El Hadj Almamy Soumah, qui nous a permis de fouler le sol de notre pays pour la 1ère fois, lors de ses funérailles, Baby, Naba et moi.
Au-delà de l’esprit de famille qu’il a inculqué à ses enfants (rigueur, solidarité, résilience…) il avait une phrase fétiche : l’exil n’est pas doré.

C’est ce que ses enfants ont retenu, en honorant sa mémoire par un retour au bercail. Un pays, qu’ils ne connaissaient pas.

Son combat est héroïque et patriotique. Il est allé jusqu’à entretenir les enfants en détresse de ses détracteurs, aussi bien au Sénégal qu’en France. Trahi par ceux qu’il avait faits.

Kaporo, à travers son histoire, incarne cette mémoire de résistance, de dignité et du sens de l’honneur.

Aujourd’hui, Kaporo a presque disparu, défragmenté, humilié, récupéré, bétonné, arraché à son histoire. Mais la mémoire demeure, dans nos cœurs, dans nos récits, dans notre lutte au quotidien.
Tant qu’il restera un fils ou une fille de Kaporo pour raconter cette histoire, elle survivra.
Kaporo n’est pas mort. Il attend. Il résiste et demeurera dans la conscience collective, jusque dans la nuit des temps.

Fodé Mohamed Soumah.

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