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« S’inspirer du passé » pour éviter de marcher dans les mauvais pas et ne pas se condamner à une mauvaise destinée relève de la sagesse socratique.
Lorsque Sékou Touré est décédé à Cleveland, aux États-Unis, dans une clinique où il venait d’être évacué, loin de sa Guinée natale qu’il dirigeait d’une main de fer depuis de longues années, une histoire jusque-là figée, monotone et monocorde, a soudain accéléré son cours. « L’homme providentiel » que beaucoup de ses compatriotes craignaient et idolâtraient, au point de le croire immortel et de proclamer son règne éternel, s’est éteint comme n’importe quel mortel. Il a laissé derrière lui son pays, qu’il n’a emporté avec lui ni réussi à léguer à qui il l’aurait souhaité. On ne saurait imaginer le nombre « d’orphelins » qu’il a laissés dans son sillage.
Du jour au lendemain, des vies ont basculé, des ambitions ont été contrariées, des destins brisés à jamais. Collaborateurs, amis, proches et parents du président Ahmed Sékou Touré ont tous été affectés, peu ou prou, par sa disparition brutale. Certains n’ont pas survécu à la disgrâce, lâchés par la providence et comme punis par le ciel. Il n’y a pas eu de continuité assurée par les héritiers du « responsable suprême », même si les prétendants à sa succession n’ont pas manqué. Beaucoup, dans l’entourage du pouvoir, l’avaient espéré à leur profit. Ce fut pourtant une rupture radicale, à contre-courant des événements, qui s’est imposée à tous avec une relève forcée de l’armée.
Des hommes et des femmes, jusque-là craints et vénérés, voire déifiés, sont soudain devenus des parias, des proies faciles. Au cours des interrogatoires qui ont suivi l’arrestation et l’emprisonnement des dignitaires du régime déchu, on a assisté à une valse de mea culpa contrits et de confessions pathétiques. Ceux qui avaient fait la pluie et le beau temps se sont confondus en excuses et en regrets, implorant la clémence et le pardon des nouvelles autorités. Beaucoup pensaient que, si leur sort n’avait tenu qu’au peuple, ils auraient tous été conduits devant un peloton d’exécution.
Mamadi Keita, l’une des figures emblématiques du pouvoir renversé, beau-frère par alliance du défunt président et membre du Bureau politique national (BPN) du PDG – le parti qui avait dirigé l’État pendant la révolution désormais révoquée –, a exprimé le dépit profond et la vive douleur d’être coupé des siens, de sa famille, de son épouse et de ses enfants. Lui et ses codétenus ont confié avoir médité, en prison, sur les insuffisances et les dérives du régime qu’ils avaient servi sans discernement ni précautions. Lui-même se disait prêt à se plier à tous les desiderata des militaires au pouvoir pour s’en sortir indemne. Comme toujours, c’est le médecin après la mort.
L’ÉTERNEL REVERS DE LA FORTUNE
Au moment où ils s’épanchaient devant la commission constituée pour les entendre, dans la posture inconfortable des vaincus et le rôle de repentis, ils ont mesuré l’avilissement de se prosterner devant un nouveau maître, combien il est infâmant de s’humilier publiquement. Ils ont dû ressentir le déchirement et l’enfer d’être soumis à des conditions humiliantes et dégradantes. Ils se sont sûrement souvenus des accusés – ou plutôt des coupables désignés – qui étaient passés devant eux, à qui on avait extorqué des aveux et qu’on avait privés de toute mansuétude. Beaucoup, réputés ennemis de la révolution, considérés comme suspects ou présumés comploteurs, avaient perdu la vie après avoir subi des sévices et toutes sortes d’humiliations dans le tristement célèbre camp Boiro et d’autres lieux de détention.
Les rôles avaient changé à la suite d’un coup de force et d’un retournement spectaculaire. Les « juges » et seigneurs de la République, qui détenaient le droit de vie et de mort sur chacun, se sont retrouvés à leur tour sur le banc des accusés, à la merci de ceux qui les avaient renversés. Les anciens plénipotentiaires ont goûté aux souffrances et aux abus qu’ils avaient infligés à d’autres, à l’époque où ils se sentaient puissants et se croyaient tout permis.
Le Comité militaire de redressement national (CMRN), le nouvel organe dirigeant du pays qui avait succédé au PDG et mis fin à son hégémonie, n’entendait pas venger les innombrables victimes de la violence d’État et de la folie humaine des années passées. Il souhaitait à peine tourner la page sans autre forme de procès, pour ne pas remuer le couteau dans la plaie ni ouvrir une boîte de Pandore. Dans un pays où l’on passe vite du statut de victime à celui de bourreau, et vice-versa, où l’homme fort est presque assuré de broyer du noir tôt ou tard, il est compliqué de rendre justice et d’établir la vérité sans diviser la société ni opposer les communautés. Il n’y a eu finalement qu’une tentative d’inventaire, afin de solder certains passifs. Le CMRN a voulu jusqu’au bout épargner la vie des dirigeants destitués, bien que l’opinion l’ait vivement incité à appliquer la loi du talion, pour que plus personne ne soit tenté d’ôter la vie à autrui.
Mais Dieu en a décidé autrement. Le 4 juillet 1985, les nouvelles autorités, sur le pied de guerre et d’un ton trivial, ont annoncé avoir déjoué une tentative de coup d’État menée par le colonel Diarra Traoré, entré en dissidence et fâché avec ses pairs. La purge qui a suivi a été fatale aux anciens dirigeants en détention, pour la plupart passés par les armes.
Une tragédie qui continue de marquer les esprits et de hanter les mémoires. Des années après, quelle leçon retirer d’une histoire que l’on semble avoir si tôt oubliée ?
Il arrive qu’on échappe à la traque des hommes, mais jamais au jugement de Dieu.
« La couronne du pouvoir ne me fait pas envie, si par des cruautés je dois souiller ma vie ». Combien sont-ils, aujourd’hui, à entendre et à faire leurs ces paroles qui élèvent l’esprit et arment la conscience de Publilius Syrus, ce poète latin né en Syrie ?
Tibou Kamara
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