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Depuis l’arrivée du CNRD au pouvoir, plusieurs réformes ont été engagées pour rendre la fonction publique plus efficace et transparente.
Sous la direction de l’ancien ministre, Julien Yombouno, et dans la vision du chef de l’État, le général Mamadi Doumbouya, un grand travail a été mené pour détecter et éliminer de nombreuses irrégularités telles que des fonctionnaires fictifs, des cas d’abandon de poste, des doubles mandatements, c’est à dire où des agents servaient simultanément dans le public et dans le privé, ainsi que des situations où une même personne détenait plusieurs matricules pour percevoir plusieurs salaires. La mise en place de la plateforme FUGAS avec le principe « un fonctionnaire, un matricule, un salaire » a renforcé ce processus en permettant une meilleure traçabilité et en éliminant des doublons dans le fichier de la fonction publique. Ces mesures ont non seulement permis de réaliser des économies substantielles pour le Trésor public Guinéen, mais aussi de dégager des marges budgétaires qui ont facilité le recrutement de 10 000 agents communautaires et de 8 024 nouveaux fonctionnaires au titre de l’année 2024.
Une formation militaire pour des agents civils : un choix discutable en 2025
Dans le cadre du récent recrutement, le Ministère du Travail et de la Fonction Publique a décidé de soumettre les nouvelles recrues à une formation Civilo-Militaire de cinq semaines, organisée en quatre cohortes dans les camps militaires de Kindia et Forécariah.
L’objectif officiel affiché est « d’inculquer des valeurs d’intégrité, d’engagement et de discipline ». Cependant la question qui se pose est la suivante : faut-il réellement passer par un entraînement militaire pour devenir un bon fonctionnaire civil ?
Certes, au lendemain de l’indépendance, tous les fonctionnaires suivaient une formation militaire avant leur prise de poste. Ce choix se justifiait alors : la toute jeune armée Guinéenne, peu équipée, avait besoin de constituer une réserve de civils formés, capables de défendre la République en cas d’invasion ou d’attaque.
Mais la Guinée d’aujourd’hui n’est plus celle des années 1960. Le pays dispose désormais d’une armée structurée, mieux équipée et opérationnelle. Dans un contexte marqué par l’évolution rapide des métiers et par la révolution technologique, il serait plus utile d’investir les milliards consacrés à ces formations Civilo-Militaires dans l’acquisition de compétences modernes, capables de rendre l’administration publique Guinéenne plus performante.
L’histoire et l’expérience montrent par ailleurs que la formation militaire, aussi stricte soit-elle, n’est pas un rempart absolu contre la corruption ou l’indiscipline. On trouve, dans les rangs militaires comme ailleurs, des personnes ayant reçu une instruction rigoureuse mais qui enfreignent malgré tout, les valeurs qu’elles étaient censées défendre.
L’intégrité ne s’acquiert pas par des exercices au pas cadencé, mais se construit dans le temps, grâce à un travail organisé, une mission claire et un encadrement efficace
L’intégrité et l’engagement : et si tout commençait par de bonnes conditions de travail ?
Un agent qui maîtrise bien son métier, connaît clairement ses missions et dispose des outils nécessaires pour les accomplir, tout en bénéficiant d’un salaire correct et d’un plan de carrière sûr, devient naturellement plus motivé et discipliné.
Lorsqu’il se sent utile, reconnu et soutenu dans son environnement professionnel, il respecte spontanément les règles et la hiérarchie.
L’intégrité ne s’impose pas par décret : elle se construit dans un cadre où les compétences sont solides, les objectifs bien définis, les conditions de travail favorables et les perspectives d’évolution réelles. Ce n’est donc pas en imposant un régime militaire que l’on rendra un agent intègre, mais en investissant dans sa formation professionnelle, en améliorant ses conditions de travail et en lui offrant un cadre motivant.
La formation Civilo-Militaire : un programme coûteux mais inadapté
Selon nos informations, cette formation Civilo-Militaire coûte des dizaines de milliards de francs guinéens. Malgré ces moyens financiers importants mobilisés pour cette induction Civilo-Militaire, le contenu proposé reste largement déconnecté des réalités des postes à occuper. Les stagiaires passent une partie de leur formation à exécuter des exercices militaires tels que le tir, la vie en conditions précaires, ou encore l’apprentissage à dormir sur des lits rudimentaires avec un régime alimentaire limité, dans le but de leur inculquer endurance et discipline. Or, ces pratiques, si elles peuvent avoir une utilité dans un cadre militaire, n’apportent pas grande chose à un futur agent administratif ou technique qui devra, dans la pratique, utiliser des outils de bureautique, gérer des dossiers complexes ou interagir avec le public. L’autre volet de la formation, centré sur l’étude de lois et de décret tels que les lois L025, L027 et le décret 0187, se limite souvent à la transmission d’informations générales qui pourraient tout aussi bien être imprimées et mises à disposition des agents pour lecture personnelle, plutôt que de monopoliser plusieurs jours de formation. Le problème fondamental est que ces nouvelles recrues proviennent de Ministères différents, avec des besoins spécifiques déjà identifiés avant leur recrutement. Pourtant, la formation reste uniforme, sans tenir compte des réalités de chaque secteur, ce qui retarde leur mise en service effective et finalement seront des agents non postés comme des milliers déjà dans les départements Ministériels.
Et si on formait pour le poste plutôt que pour la caserne ?
Il serait bien plus pertinent d’adopter une approche sectorielle qui prépare chaque agent à ses missions réelles dès le premier jour de travail. Par exemple, au Ministère de l’Enseignement Pré-universitaire et de l’Alphabétisation, les stagiaires enseignants et personnels éducatifs devraient être formés à entrer directement dans une salle de classe, en se concentrant sur la pédagogie, la psychologie de l’apprentissage, la gestion de classe et l’utilisation des outils numériques éducatifs. Une telle formation leur permettrait de comprendre comment transmettre efficacement un savoir, de s’adapter aux différents rythmes d’apprentissage des élèves, de maintenir un environnement de classe positif et d’intégrer les nouvelles technologies dans leur enseignement.
De même, au Ministère du Budget, les agents devraient être préparés à gérer les finances publiques, en apprenant à élaborer des budgets réalistes, à tenir une comptabilité conforme et transparente, à planifier les besoins financiers à moyen et long terme et à maîtriser les logiciels spécialisés qui permettent un suivi rigoureux des dépenses et des recettes de l’État.
Au Ministère du Commerce, la formation devrait porter sur la réglementation commerciale, le suivi des prix, la gestion des relations commerciales internationales et l’élaboration de statistiques économiques fiables. Cela permettrait aux agents de réguler efficacement les marchés, de protéger les consommateurs et de favoriser les échanges économiques.
Enfin, pour le Ministère du Travail et de la Fonction Publique, il serait judicieux de former les agents à la gestion administrative, à l’utilisation des logiciels de gestion des ressources humaines, à la planification des effectifs et à la gestion de carrière, afin de renforcer l’efficacité interne de l’administration publique.
Des semaines perdues qui auraient pu mieux servir :
Lors de nos échanges avec plusieurs stagiaires, beaucoup ont exprimé leur déception face au contenu de la formation Civilo-Militaire.
Selon eux, ces cinq semaines auraient été bien plus utiles si elles avaient été consacrées à l’apprentissage d’outils pratiques et immédiatement applicables dans leurs fonctions.
Par exemple, il aurait été plus pertinent de former les recrues à la maîtrise avancée d’Excel, indispensable pour organiser et analyser des données administratives, ou encore à l’utilisation de logiciels comme Power BI pour produire des analyses fiables, identifier les tendances et appuyer la prise de décision.
On pourrait également y intégrer des modules de gestion de projets publics, afin de planifier, suivre et évaluer efficacement les actions gouvernementales, ainsi que des formations sur l’élaboration de plans d’action concrets et la création de tableaux de bord pour le suivi des ressources humaines.
Ces compétences, proposées dès l’entrée en fonction, permettraient aux nouveaux agents d’être rapidement opérationnels et de contribuer efficacement à la performance de l’administration publique.
En Somme, la formation Civilo-Militaire, bien qu’animée par l’intention louable de promouvoir discipline et engagement, s’avère coûteuse, chronophage et inadaptée aux besoins réels des postes à pourvoir. Les valeurs d’intégrité et de discipline ne s’imposent pas par des méthodes militaires, mais se cultivent par la compétence technique, un environnement de travail motivant et une gestion administrative transparente. Si l’objectif est de rendre la fonction publique plus performante, il est urgent de réorienter ces investissements vers des formations sectorielles, adaptées à chaque ministère, afin que chaque agent soit prêt à servir efficacement dès son premier jour.

Mamadou Bobo KEITA
Enseignant-Chercheurs, Doctorant à ECL Lyon (France)
Spécialiste des Questions RH, avec une expertise en réformes administratives
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