Le champ de bataille de la bauxite à Boffa : comment des affairistes se disputent le permis révoqué d’Axis Minerals ? (Tribune)

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La saga autour de la révocation du permis d’exploitation d’Axis Minerals à Boffa s’est transformée en un véritable drame politique, financier et judiciaire révélant au grand jour les profondes fractures, rivalités et pratiques douteuses qui gangrènent le secteur minier guinéen.

En mai 2025, le gouvernement guinéen a brusquement retiré le permis d’exploitation de la société, sans avertissement, notification ni procédure apparente. Axis affirme n’avoir jamais reçu de mise en demeure écrite pour des manquements présumés au Code Minier. Le retrait du permis serait donc contraire à la réglementation, selon l’entreprise.

Une série de mesures musclées a suivi la révocation : la police a occupé le site, expulsé les travailleurs indiens de l’entreprise et annulé leurs visas, tandis que la BCRG gelait les comptes bancaires d’Axis. Depuis, les autorités sont restées silencieuses malgré les multiples demandes d’explication. Axis, de son côté, contre-attaque vigoureusement : la société a engagé une procédure d’arbitrage international à New York et réclame plus d’un milliard de dollars de dédommagement à l’État guinéen. Mais alors que la machine judiciaire internationale se met en marche, une ruée opportuniste s’est enclenchée à Conakry.

C’est dans ce contexte qu’entre en scène SD Mining, une société chinoise qui semble n’avoir perdu aucun temps pour tirer profit du malheur d’Axis. En juillet 2025, SD Mining aurait signé un protocole d’accord (MOU) avec le ministre des Mines et de la Géologie, Bouna Sylla, prévoyant l’attribution du permis révoqué d’Axis contre un paiement initial de 250 millions de dollars. Le problème ? Le MOU est juridiquement nul, car il contourne les procédures obligatoires prévues par la loi guinéenne : les permis miniers ne peuvent être attribués que par décret présidentiel, et non par des arrangements officieux.

En août 2025, le ministère a discrètement annulé l’accord après que la procédure d’arbitrage eut été lancée par Axis et que plusieurs commentateurs eurent dénoncé le caractère opaque du deal. Ce revirement constitue un camouflet pour l’État, soulevant des questions troublantes : comment et pourquoi un tel accord a-t-il pu être signé ?

Alors que la manœuvre de SD Mining s’est effondrée, un visage bien connu a refait surface : Ahmed Kanté. Ancien pilier de l’establishment minier guinéen –ex-directeur général de la Soguipami (2012–2017) et ancien ministre des Mines et de la Géologie (2007–2008) —, Kanté dirige aujourd’hui GIC, une société qui fait activement pression pour obtenir l’ex-concession d’Axis. Mais le parcours de Kanté est loin d’être irréprochable : il a été impliqué dans plusieurs affaires judiciaires pour abus de confiance, conflits d’intérêts et usage de faux.

En septembre 2025, la CRIEF (Cour de répression des infractions économiques et financières) a annulé une précédente décision de non-lieu et ordonné sa poursuite pour abus de confiance. Si les accusations de faux et usage de faux ont été abandonnées, le soupçon demeure. Sentant peut-être que ses démêlés judiciaires pourraient compromettre ses ambitions, Kanté a lancé en août 2025 le « Fan Club Général Mamadi Doumbouya » — une initiative jugée presque grotesque par les observateurs, perçue comme une tentative désespérée de gagner les faveurs du pouvoir plutôt qu’un élan de loyauté sincère. Sa manœuvre apparaît clairement comme un dernier coup de poker pour s’emparer du permis d’Axis.

La bataille pour le permis Boffa-AXIS a depuis viré à une guerre médiatique : SD Mining et GIC se livrent à un affrontement orchestré à coups d’articles et de communiqués, chacun tentant de discréditer l’autre et de se présenter comme le partenaire le plus crédible. Leur rivalité pour le contrôle d’un actif au cœur d’un arbitrage international de plus d’un milliard de dollars expose crûment la fragilité de la gouvernance minière guinéenne — ainsi que les méthodes douteuses auxquelles certains acteurs recourent pour gagner influence et faveur. Les arrangements de coulisse et pratiques corrompues sont devenus la marque de fabrique du secteur.

Pour tout nouvel opérateur, les risques sautent aux yeux. Les actifs pris dans une procédure d’arbitrage internationale sont de véritables champs de mines juridiques : la propriété, le contrôle et les obligations financières y deviennent contestés. Des mesures provisoires — injonctions, gels d’actifs, saisies — peuvent paralyser toute activité. Dans ce cas précis, tout acteur tentant de reprendre les droits d’Axis s’expose à être entraîné dans le litige lui-même, avec des conséquences financières et réputationnelles potentiellement désastreuses.

Ce que révèle cette saga, au fond, dépasse le simple affrontement entre acteurs opportunistes : elle met en lumière un système qui récompense la proximité plutôt que le principe. Quand un permis peut disparaître du jour au lendemain pour réapparaître dans des tractations obscures, la règle de droit devient une variable d’ajustement, négociée à coups d’arrangements et en gré-à-gré.

Aujourd’hui encore, le front minier guinéen ressemble moins à un marché émergent qu’à une boîte noire dominée par l’opacité, les intérêts croisés et le favoritisme. Le sort d’Axis Minerals fait figure d’avertissement pour les investisseurs. Tandis que Simandou monopolise les projecteurs internationaux et se veut le symbole d’un avenir prometteur, la réalité vécue par d’autres opérateurs — tels qu’Axis — raconte une tout autre histoire.

Mamadou Kaba, juriste

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