Édouard Zoutomou : « Sans un vrai dialogue, la transition guinéenne est condamnée à l’échec »

il y a 5 heures 28
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En marge de sa visite en Côte d’Ivoire le 17 juin 2025, le président de la transition, le général Mamadi Doumbouya, a eu un entretien en tête-à-tête avec le président ivoirien, Alassane Ouattara. Lors de cette rencontre, les deux chefs d’État ont échangé sur plusieurs dossiers d’intérêt commun, notamment la situation politique en Guinée. Le président Ouattara a appelé son homologue guinéen à privilégier l’apaisement en vue d’un retour à l’ordre constitutionnel. Cet appel a suscité des réactions au sein de la classe politique guinéenne. Édouard Zoutomou Kpoghomou, leader de l’Union démocratique pour le renouveau et le progrès (UDRP) et membre des forces vives de Guinée, livre son analyse sur la portée de cette déclaration.

Guinee360 : Comment analysez-vous le contexte de la visite du président de la transition guinéenne en Côte d’Ivoire ?

Édouard Zoutomou Kpoghomou : Écoutez, je ne connais pas les motivations réelles de cette visite, mais je me suis demandé : pourquoi maintenant ? Cela fait près de quatre ans que la junte est au pouvoir. À l’époque, le président Alassane Ouattara avait été l’un des premiers chefs d’État à se rendre en Guinée, accompagné notamment de Nana Akufo-Addo du Ghana. S’ils avaient des conseils utiles à donner à la junte, cela aurait dû se faire à ce moment-là, pour orienter et corriger les anomalies qui ont justifié le coup d’État. Aujourd’hui, je ne vois pas clairement ce que Mamadi Doumbouya peut chercher en Côte d’Ivoire. D’autant plus que ce pays traverse lui-même des tensions internes, avec des crises en gestation, notamment liées à l’élimination de certains candidats, ce qui suscite de vives inquiétudes. Peut-être est-il parti dans l’optique de « renforcer les liens », comme il l’a dit. Ces liens ont toujours existé entre nos peuples, mais au niveau gouvernemental, je ne perçois pas de dynamique nouvelle. Il avait déjà approché Paul Kagame, le Rwanda étant perçu comme un modèle à l’époque, en raison de son propre passé marqué par une prise de pouvoir par la force et une longévité au sommet. Le fait qu’il se tourne maintenant vers la Côte d’Ivoire me laisse un peu perplexe. J’espère simplement qu’il est allé chercher des conseils avisés pour organiser des élections apaisées. Car au fond, ce ne sont pas les élections elles-mêmes qui comptent, mais ce qu’il en découle : la stabilité avant tout, et surtout après.

Justement, parlant de conseils, le président Alassane Ouattara a exhorté le général Doumbouya à l’apaisement et au retour à l’ordre constitutionnel. En tant qu’acteur politique, comment accueillez-vous cet appel ?

C’est une bonne chose, à condition que le président de la transition accepte de l’écouter. Ce qui a manqué jusqu’ici, c’est un véritable cadre de dialogue. L’opposition a toujours exhorté le CNRD à engager une discussion ouverte, inclusive, et non des concertations de façade ou des dialogues imposés dans des cadres restreints. Un vrai dialogue, c’est un espace où chacun vient avec ses revendications ou ses propositions, et où les décisions se construisent collectivement sur place. Il faut que les participants aient un réel pouvoir de proposition. Jusqu’à présent, cela n’a pas été le cas.

Pensez-vous que cet appel du président ivoirien peut avoir un impact sur la transition menée par le CNRD ?

On ne sait jamais, l’être humain est toujours capable de changer. Tout dépendra de la force des arguments avancés. Mais jusque-là, malgré les nombreuses sollicitations des partis d’opposition, rien n’a vraiment changé. Si le président Ouattara parvenait à convaincre le général Doumbouya d’ouvrir un vrai dialogue, ce serait une excellente chose. C’est ce que tout le monde attend. Mais ce serait un vrai miracle, compte tenu du contexte actuel.

Pensez-vous que le président Doumbouya est prêt à entendre ce message d’apaisement venu de la sous-région ?

Ce message ne date pas d’aujourd’hui. Dès l’arrivée du CNRD au pouvoir, la CEDEAO s’était impliquée. Elle avait fixé une durée de 24 mois pour la transition, et la charte de transition s’était alignée sur cette période. Mais ce délai n’a pas été respecté, malgré les efforts et les rappels de la CEDEAO. Aujourd’hui, j’ai du mal à croire que le CNRD puisse subitement se raviser. À mon avis, les dés sont pipés. Il y a une volonté réelle de confisquer le pouvoir, ce qui rend les appels extérieurs peu audibles et fragilise tous les efforts de sortie de crise. Nous avions pourtant salué la nomination du Premier ministre Bah Oury, en espérant qu’il pourrait initier un cadre de dialogue pour réorienter les priorités de la transition. Mais cela n’a pas été fait. Aujourd’hui, on assiste à des milliards déployés pour acheter des consciences. Comment croire qu’un tel système pourrait changer de cap sans mécontenter ceux qui y trouvent leur intérêt ?

Selon vous, l’appel d’Alassane Ouattara peut-il faire bouger les lignes autour du chronogramme de la transition en Guinée ?

J’en doute fortement. Beaucoup de choses ont changé depuis la première visite de la CEDEAO. Les positions se sont durcies, et la CEDEAO elle-même a connu des mutations internes. L’organisation a perdu de sa crédibilité. Pendant un temps, l’opinion publique pensait même qu’elle était devenue inopérante. Dans ces conditions, je vois mal comment cet appel pourrait inverser la tendance. Le CNRD semble déterminé à aller jusqu’au bout de son projet, en marge des recommandations régionales.

Une dernière question pour conclure. Quel rôle doivent jouer les partenaires régionaux dans la résolution de la crise politique en Guinée?

Il faut d’abord préciser de qui on parle. Si on parle de la CEDEAO, elle a un rôle essentiel, mais elle doit faire preuve de fermeté. Le problème, c’est justement ce manque de fermeté. Quand on s’accorde sur une ligne de conduite, il faut s’y tenir avec détermination. Malheureusement, il y a trop de compromis, trop d’arrangements. Et il ne faut pas oublier que la CEDEAO n’est pas à l’abri des influences, y compris de la corruption. Elle doit rester droite dans la mission qui lui est confiée. Si elle croit véritablement en sa mission, qu’elle la mène jusqu’au bout. C’est cela qui posera les bases d’un avenir paisible. Encore une fois, l’essentiel n’est pas seulement d’organiser des élections, mais surtout de faire accepter leurs résultats par tous. C’est ce qui garantit la paix.

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