Lettre d’un maudit : Chronique d’une Guinée qui étouffe ses enfants intègres(Par Ousmane Boh KABA)

il y a 5 heures 32
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Je suis un maudit.
Nous sommes des maudits.
Fonctionnaires mutés du jour au lendemain pour avoir refusé de signer un dossier falsifié.
Enseignants radiés des listes de paie pour avoir dénoncé les fraudes aux examens.
Magistrats transférés à l’autre bout du pays pour un jugement trop juste.
Journalistes réduits au silence ou à l’exil pour un article trop vrai.

En Guinée, notre malédiction porte un nom : intégrité.
Elle s’appelle aussi : solitude, précarité, et ce regard fuyant d’anciens collègues qui croisent votre ombre comme si elle était contagieuse.
Télimélé. Koundara. Beyla.
Ces noms résonnent comme des sentences de bannissement.
On n’y envoie plus les opposants politiques, mais les gardiens de l’éthique.

Un médecin qui refuse de falsifier des certificats ? Affecté dans un dispensaire sans médicaments.
Un inspecteur des impôts trop scrupuleux ? Placardisé dans un bureau sans dossiers.
La méthode est sournoise : pas de sanctions officielles, juste une lente asphyxie.
Votre crime ? Avoir cru que servir l’État signifiait servir le peuple.

« Ici, même les moustiques meurent de faim », m’a confié un instituteur exilé à Kouroussa.
Il enseigne à 35 élèves sous un hangar, sans livres ni craies.
Son tort ? Avoir refusé de modifier les notes du neveu d’un responsable.
Son salaire ? Six mois d’arriérés. Son avenir ? Un dossier “à l’étude” depuis trois ans.

Pendant ce temps, Conakry vibre au rythme des sirènes.
Les 4×4 blindés des nouveaux prophètes fendent la misère comme des couteaux dans de la chair molle.
Leurs discours ? Des torrents de mots vides : « révolution », « émergence », « rupture », « transition », « vision », « rectification », « refondation ».

Leurs réalisations ? Des villas à Dubaï, des comptes à Genève, et une armée de courtisans pour applaudir leurs mensonges.

Au ministère, j’ai vu un directeur réclamer 50 % de pot-de-vin sur un marché de manuels scolaires.
Quand j’ai résisté, on m’a proposé un “choix” :
« Soit tu prends ta part, soit tu deviens un héros… mais ici, les héros finissent sous les roues. »

Récemment, un responsable politique de l’UFDG, récompensé par une voiture du président Doumbouya, a déclaré sans détour :
« Il faut être maudit pour refuser une voiture du président de la République. »
Dans cette République du cynisme, refuser un cadeau devient une folie, accepter devient une vertu, et l’intégrité, une malédiction.

Aujourd’hui, ma femme vend des beignets au bord de la route.

Les mosquées et les églises sont devenues des annexes du pouvoir.
Certains imams rivalisent de créativité pour sanctifier l’inacceptable.
« N’nallah » — « C’est Dieu qui l’a voulu » — devient la bénédiction divine des détournements.
Un évêque m’a confié, les yeux baissés :
« Je ne peux plus dénoncer. Ils ont des dossiers sur tout le monde. »

L’étranger complice ferme les yeux.
Les bailleurs organisent des séminaires dans des hôtels climatisés où l’on parle de bonne gouvernance entre deux buffets gastronomiques.
Leurs rapports ? Des chefs-d’œuvre de langue de bois :
« Des progrès notables malgré des défis persistants. »
Traduction : Continuez à piller, mais faites-le discrètement.

Et quand un haut gradé dérange, on l’envoie à Cuba.
Officiellement, pour une formation.
Officieusement, pour l’éloigner. Pour l’éteindre.
L’exil administratif est devenu l’arme de ceux qui veulent effacer sans faire de bruit.

Pourtant, nous tenons.
Dans les salles de classe sans fenêtres, un instituteur achète ses craies avec son propre salaire.
À l’hôpital Ignace Deen, une sage-femme lave les draps souillés à la main faute de linge propre.
Au tribunal de première instance, un greffier relie les dossiers avec du scotch depuis cinq ans.

Nous sommes l’armée des ombres.
Notre arme ? La ténacité.
Notre bouclier ? La conscience tranquille.
Notre victoire ? Chaque élève qui apprend à lire malgré tout.
Chaque patient sauvé contre l’absurdité.
Chaque dossier traité avec intégrité.

Aux voleurs de la République, je dis ceci :
Vos villas sont des prisons dorées.
Votre peur est visible : peur des audits, peur des changements de régime, peur de vos propres complices.
Et pourtant, les masques tombent.
Celui qui nous traitait de maudits d’hier est aujourd’hui derrière les barreaux.
Les biens de l’ancien tout-puissant ministre de la Défense, saisis et vendus aux enchères.
L’ancien président de l’Assemblée nationale, en prison, ses propriétés confisquées. Et la fille d’un ancien Premier ministre en larmes, quémandant la clémence de notre nouveau FAMA – car ici, dit-on, c’est Allah qui donne le pouvoir.
Ironie de l’histoire ? Non. Justice en marche.

Un jour, vos enfants vous demanderont :
« Papa, comment as-tu gagné tout cet argent ? »
Que leur répondrez-vous ?

Aux partenaires complices, je pose cette question :
« Quand vous quitterez la Guinée avec vos valises diplomatiques, emporterez-vous aussi notre dignité dans vos bagages à main ? »

Et à vous, mes frères maudits, je lance cet appel :
Tenez bon.
Un pays qui étouffe ses enfants intègres est un pays qui se suicide à petit feu.
Mais l’histoire est un serpent : elle finit toujours par mordre sa propre queue.

Notre heure viendra.
Pas celle des vengeances, mais celle de la reconnaissance.
Pas celle des règlements de comptes, mais celle des comptes rendus à la Nation.

Je termine cette lettre au clair de lune, dans une cour de Télimélé où l’électricité est un souvenir lointain.
Ma fille de huit ans m’a demandé :
« Papa, pourquoi on est pauvres alors que tu travailles tant ? »
Je lui ai répondu :
« Parce que ton père a choisi de pouvoir te regarder dans les yeux chaque matin. »

Et dans ses yeux, j’ai vu naître une étincelle.
Cette étincelle, c’est l’avenir de la Guinée.

Je suis Bah Oury.
Autrefois banni, aujourd’hui Premier ministre — mais ma mémoire porte encore les cicatrices de l’exil.

Je suis Idi Amin.
Hier réduit au silence à Cuba, aujourd’hui ministre de la Défense nationale — mais je sais ce que coûte la loyauté dans un pays qui la redoute.

Je suis Dr Fodé Oussou Fofana.
Je suis resté dignement fidèle à mon idéal quand tant d’autres succombaient aux sirènes du pouvoir.

Je suis Kéléfa Sall.
Celui qui, du haut de la Cour suprême, osa dire à Alpha Condé : « N’écoutez pas les sirènes révisionnistes. »
J’ai dit la vérité là où tant se taisaient.

Je suis Sadiba Koulibaly.
Je suis mort.
Et peut-être que même dans la tombe, je dérange encore.

Je suis ces visages connus.
Je suis aussi tous ceux dont on ne connaîtra jamais le nom, mais qui ont tenu bon.

Je suis chaque conscience qu’on a voulu briser.
Je suis un maudit.
Fier de l’être.
En attente d’une aube qui viendra.
Et elle viendra.

Ousmane Boh KABA

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