Guinée : Bah Oury, ou le gâchis d’un atout maître (Par Ousmane Boh KABA)

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http://Actuguinee.org/ Ils ont enfin trouvé l’homme qu’il leur fallait. Bah Oury n’est pas un Premier ministre comme les autres. C’est l’intellectuel capable de parler aussi bien aux paysans du Fouta qu’aux diplomates new-yorkais. L’exilé qui a survécu aux balles de Dadis.

Le technocrate capable de négocier un dossier explosif comme Kaporo Rails le matin – ce litige foncier emblématique qui attend toujours réparation – et de séduire les investisseurs étrangers l’après-midi. Mamadi Doumbouya ne pouvait rêver meilleur atout pour crédibiliser sa transition.

Depuis son arrivée à la Primature, la parole présidentielle, jadis banale par excès de répétition, s’est faite rare et grave. Désormais, c’est Bah Oury qui parle pour deux. Parce qu’il incarne à la fois l’autorité de l’État et la retenue du pouvoir, chaque mot compte. Le duo paraît plus cohérent, plus crédible. Et pourtant…

L’histoire se répète. Comme Mohamed Béavogui avant lui – limogé après six mois pour avoir pris ses fonctions trop au sérieux. Comme Bernard Gomou –resté plus longtemps qu’on ne l’a écouté, et vite transformé en spectateur d’un théâtre qui le dépassait. Le CNRD semble frappé d’une étrange malédiction : incapable de supporter ses propres choix dès qu’ils gagnent en force.

Quand Bah Oury fixe décembre 2025 pour les élections, on lui oppose des “priorités constitutionnelles”. Quand il tend la main à l’ANAD – cette alliance d’opposition pourtant incontournable – certains ministres préfèrent souffler sur les braises. Quand il obtient des avancées concrètes avec les bailleurs, des décisions contradictoires, ou des scandales retentissants – comme ces détournements de tonnes d’or – viennent tout remettre en cause. À chaque fois, le même scénario : on s’appuie sur son prestige pour briller, tout en minant son autorité.

Le sabordage est méthodique. Un jour, on l’empêche de nommer un conseiller. Le lendemain, on torpille une de ses propositions phares. Puis viennent les humiliations feutrées, les contre-feux en conférence de presse, les répliques bien ciblées dans les coulisses. À force d’étouffer sa lumière, le CNRD finit par s’aveugler lui-même.

Erreur stratégique ! Dans la Guinée d’aujourd’hui, qui d’autre que Bah Oury peut rassurer à la fois les villages reculés de Guinée forestière et les institutions financières internationales ? Qui d’autre maîtrise aussi bien les grands équilibres : réforme foncière, justice transitionnelle, tensions identitaires, dialogue intergénérationnel ? « Le président Doumbouya m’a dépêché pour couper le ruban afin de remettre un bien à la famille de feu président Ahmed Sékou Touré », confiait-il en février à Faranah. Qui l’aurait cru, lui, jadis critique du régime de Sékou Touré ? Le symbole est fort. La stature, intacte. Et pourtant, le CNRD s’acharne à l’user à petit feu.

On pourrait y voir un réflexe tribal, comme si toute personnalité qui dépasse devenait suspecte. Comme si la compétence faisait peur. Comme si la lumière de Bah Oury menaçait d’éclipser le halo du pouvoir militaire.

Pourtant, il tient bon. Dans les préfectures, manches retroussées, chemise sans cravate, il écoute les doléances des cultivateurs, prend des notes, promet peu mais agit. À Kindia, Labé, Kankan, N’Zérékoré, pendant les immersions gouvernementales, son calme impressionne, sa méthode séduit. Il ne joue pas la comédie du populisme. Il parle vrai. Il agit quand d’autres gesticulent.

À l’étranger, il porte la voix d’une Guinée qu’on croyait perdue. À Dakar, il disait : « Il ne suffit pas d’avoir une boussole. Encore faut-il être libre de la suivre. » À Abidjan, il a plaidé pour une CEDEAO plus lucide. À Paris, sur France 24, il a défendu un “engagement réciproque” entre autorité civile et partenaires internationaux. Calme, constant, crédible. À l’opposé du vacarme ambiant.

Mais il est aussi un homme seul. Trop isolé pour peser. Trop libre pour être maîtrisé. Trop structuré pour plier à l’arbitraire. On veut son aura, pas son cap. Son image, pas sa méthode. Et le moteur patine.

Pendant ce temps, la transition s’enlise. Le calendrier se floute. Le dialogue s’efface. Les bailleurs s’interrogent. Le scepticisme grandit. L’opinion observe. Silencieuse, mais pas aveugle.

La solution est simple. Donnez-lui enfin les moyens d’agir. Cessez ces jeux puérils de contradictions. Assumez qu’un Premier ministre n’est pas un faire-valoir, mais un pilier d’une vraie refondation. Le Mali voisin l’a compris avec Goïta et Choguel. Le Tchad l’a appris à ses dépens.

Ce n’est plus une affaire de personnes, mais d’architecture politique. Si le CNRD veut réussir sa sortie, il doit s’appuyer sur ceux qui construisent des ponts. Aujourd’hui, personne ne le fait mieux que Bah Oury.

Le choix est clair : soit le CNRD mise pleinement sur cet atout formidable, soit il poursuivra sa lente descente aux enfers de la crédibilité. Les Guinéens ont déjà tranché. Dans les ruelles de Bambéto comme dans les champs du Fouta, on murmure que Bah Oury mérite mieux. Bien mieux.

Ils n’ont pas tort. Si demain les espoirs s’effondrent, ce ne sera pas faute d’avoir eu une chance. Ni faute d’avoir eu une voix mesurée, une main tendue, un cap possible.

Le temps presse. Les hommes de cette trempe sont rares. Et plus rares encore ceux qui tiennent debout quand tout pousse à plier. Quand ils passent, il faut savoir les retenir.

Pour la Guinée. Pour l’Histoire.

Pour ne pas dire un jour : nous avions un atout maître. Et nous l’avons laissé filer.

Ousmane Boh Kaba

Ousmane Boh KABA

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