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Régis Hounkpè, enseignant et analyste senior en géopolitique et communication stratégique, fondateur et directeur exécutif d’InterGlobe Conseils, analyse les récentes frappes israéliennes contre l’Iran et leurs implications régionales et internationales. Dans cet entretien accordé à Guinee360, ce spécialiste en gouvernance politique et communication stratégique alerte sur les risques d’un embrasement généralisé au Moyen-Orient, critique la logique de guerre préventive menée au mépris du droit international, et appelle les États africains à renforcer leur souveraineté diplomatique et sécuritaire.
Guinee360 : Israël a lancé, dans la nuit du vendredi 13 juin, des frappes contre plusieurs sites stratégiques iraniens, notamment militaires et nucléaires. Cela a provoqué une réplique de Téhéran. Quelle lecture faites-vous de cette confrontation entre les deux puissances ?
Régis Hounkpè : Déjà, le contexte de crise dans la région est important à rappeler. Depuis bientôt deux ans, Israël mène une offensive continue contre les Palestiniens très particulièrement Gaza. Aujourd’hui, on observe également un contexte international extrêmement tendu pour Israël. Et surtout, au mépris du droit international, Israël s’attaque directement à l’Iran. On peut alors se demander : est-ce que l’Iran ne réagirait pas, même si, bien évidemment, on sait que les relations entre la République islamique et l’État d’Israël ont toujours été très complexes ? Mais ce qui est frappant aujourd’hui, c’est que cette guerre préventive, qui semble viser à décapiter la gouvernance de la République islamique, apparaît comme quelque chose d’extrêmement inopportun et disproportionné. D’autant plus qu’on n’a pas l’impression qu’il y ait eu une déclaration de guerre claire. L’Iran, aujourd’hui, semble être mis devant le fait accompli et contraint de répondre militairement.
Israël s’attaque à l’Iran sous prétexte que ce pays le menacerait. Quelle est votre lecture de cette guerre dite « préventive » ?
C’est préventif parce qu’Israël estime que l’Iran serait à l’origine de troubles et de drames qu’il a vécus. Ce qui m’étonne et me désespère, c’est que, malgré le contexte international extrêmement compliqué pour Israël, ce pays s’attaque à l’Iran au mépris du droit international, sous prétexte d’une menace. On sait pourtant que les relations entre la République islamique et l’État hébreu sont historiquement très complexes. Mais la véritable question, c’est que cette guerre préventive, qui viserait à décapiter la gouvernance de l’Iran, me semble disproportionnée. Je ne vois pas de déclaration claire de guerre, ni de préparation évidente côté iranien à une guerre frontale. C’est donc une surprise désagréable, à la fois pour la stabilité de la région et pour le respect du droit international.
Presque une semaine après cette escalade, les tensions ne faiblissent pas. Le Pakistan soutient désormais l’Iran. Doit-on craindre un embrasement régional ?
Le Moyen-Orient est un véritable brasier. Israël multiplie les incursions : en Syrie, au Liban, en Palestine, et désormais en Iran. Il y a un vrai risque de régionalisation du conflit. Et si Israël bénéficie du soutien des États-Unis, on pourrait voir ce conflit s’internationaliser. On se dirige vers une bascule chaotique, avec un effet domino sur toute la région.
Le G7 a exprimé son soutien à Israël. Comment analysez-vous cette position?
Cela ressemble à des arrangements entre alliés. On a l’impression que la communauté occidentale, plus qu’internationale, agit selon la logique du plus fort. Les contentieux entre Israël et l’Iran sont anciens. Israël considère que le Hezbollah et le Hamas sont soutenus par l’Iran. Il est clair que ces trois entités souhaitent la disparition d’Israël. C’est donc dans ce contexte que les pays du G7 justifient leur soutien à Israël, qui, comme tout État, a le droit de se défendre. Mais je reste dubitatif sur l’imminence des menaces ayant justifié une telle attaque. La région a besoin de stabilité, pas de surenchère militaire.
Israël dit agir pour empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire. Comprenez-vous cette position, souvent partagée par les pays occidentaux ?
L’Iran a signé le traité de non-prolifération nucléaire, mais Israël l’accuse de le violer par le biais de ses proxys : Houthis, Hezbollah, Hamas. Toutes les grandes puissances possèdent l’arme nucléaire, mais certaines estiment que d’autres ne devraient pas l’avoir. C’est une injustice. On parle souvent d’une dissuasion à deux vitesses. L’Agence internationale de l’énergie atomique affirme que l’Iran n’a qu’un programme civil, mais Israël et les États-Unis pensent le contraire. Si l’Iran acquiert réellement l’arme nucléaire, cela représentera un grave danger pour la région. Mais il faut aussi comprendre que l’Iran peut se sentir menacé, notamment par les récentes frappes ciblées contre ses dirigeants.
Y a-t-il un risque d’implication militaire directe des États-Unis dans cette guerre?
Les États-Unis sont déjà impliqués, ne serait-ce que par le soutien logistique et stratégique à Israël. Aujourd’hui, la guerre se mène aussi avec des technologies de précision, drones, satellites, etc. Israël bénéficie du « parapluie américain ». Même si Donald Trump affirme ne pas avoir été informé, je pense que lui, comme la Jordanie ou l’Arabie saoudite, ont été prévenus. Les Américains sont donc impliqués, même sans présence directe sur le terrain.
Quel pourrait être le rôle des grandes puissances comme la Chine ou la Russie ?
Les États-Unis sont clairement partie prenante. La Russie, absorbée par sa propre guerre en Ukraine, joue sa carte. La Chine reste prudente. L’Union européenne n’a pas de rôle moteur et l’ONU est aujourd’hui marginalisée. On est dans un conflit où les solutions semblent pour l’instant hors de portée. Je doute que le salut vienne de ces grandes puissances.
L’Union africaine a appelé à la désescalade. Est-ce que la voix du continent africain peut peser dans ce type de crise ?
Oui, symboliquement, c’est important que la voix africaine porte. Mais la réalité est plus nuancée : l’Union africaine est souvent silencieuse sur les crises du continent lui-même. Regardez l’est de la RDC ou les tensions avec le Rwanda. Pour être crédible à l’international, l’Afrique doit d’abord régler ses propres conflits. Être un modèle. Sinon, sa voix aura peu de portée à l’international.
Quelles pourraient être les répercussions concrètes de ce conflit sur l’Afrique ?
Chaque conflit international a un impact sur l’Afrique : investissements gelés, marchés instables, hausse des prix, tensions géopolitiques. Nous sommes connectés à l’économie mondiale. Donc, oui, le chaos au Moyen-Orient ou en Europe affecte directement le continent. Et comme l’Afrique est déjà fragile, ces chocs externes l’affaiblissent davantage.
Quel enseignement les États africains peuvent-ils tirer de cette crise sur le plan diplomatique, militaire et sécuritaire ?
Il faut cultiver la paix, mais aussi disposer d’un appareil sécuritaire solide. La paix sans défense, c’est une illusion. Nos armées doivent être professionnalisées. C’est par la force dissuasive qu’on peut négocier la paix. Les conflits récents nous montrent que la paix se défend aussi par la puissance militaire.
L’article Régis Hounkpè : « L’Afrique doit tirer les leçons de la crise israélo-iranienne pour renforcer sa souveraineté sécuritaire » est apparu en premier sur Guinee360 - Actualité en Guinée, Politique, Économie, Sport.