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En septembre 2025, la République de Guinée a fièrement obtenu sa toute première notation souveraine — un jalon symbolique destiné à projeter la discipline budgétaire, la cohérence des politiques publiques et la crédibilité du pays sur la scène financière internationale. Dans les cercles officiels, l’ambiance était à la victoire. Les représentants du gouvernement ont présenté cette notation comme un “vote de confiance” dans la trajectoire nationale. Les communiqués de presse ont souligné les progrès accomplis, le “retour de la confiance des investisseurs” et les réformes structurelles en cours.
Mais si les agences de notation distribuent de bonnes appréciations, ceux qui opèrent réellement dans l’économie guinéenne — en particulier dans le secteur minier — semblent appliquer une grille de notation beaucoup plus sévère. Car si les chiffres impressionnent à distance, la réalité du terrain raconte une histoire plus chaotique.
En mai 2025, le gouvernement a révoqué plus de 130 permis miniers dans une vaste opération de “nettoyage” du cadastre national, suivie de plusieurs centaines d’autres révocations dans les mois suivants. L’objectif affiché : éliminer la spéculation, sanctionner les titres inactifs et réaffirmer le contrôle de l’État. Mais la mise en œuvre de cette politique a laissé derrière elle un sillage de confusion, de frustration et désormais… de ripostes judiciaires.
Prenons le cas d’Axis Minerals, l’un des opérateurs miniers les plus actifs et les plus sérieux de Guinée. Fondée par l’homme d’affaires Pankaj Oswal, la société est entrée en Guinée dès 2013 — bien avant le boom de la bauxite et l’arrivée massive des investisseurs internationaux — et a engagé un investissement de long terme sur un site complexe et reculé. En 2024, l’entreprise était devenue le deuxième exportateur de bauxite du pays, avec plus de 22 millions de tonnes. À n’en pas douter, un succès pour la Guinée. Et pourtant, en mai dernier, Axis a découvert que son permis minier avait été révoqué — sans préavis, sans procédure judiciaire, sans motif officiel. Aucune violation alléguée ne lui avait été notifiée. Aucun problème de performance signalé. En un seul acte administratif, son titre a disparu, comme si une décennie d’investissements et de résultats ne comptait pour rien. Depuis, l’entreprise cherche des explications… et a dû se tourner vers l’arbitrage pour défendre ses intérêts.
La société est loin d’être la seule. GAC (Guinea Alumina Corporation), un producteur majeur de bauxite détenu par Emirates Global Aluminium, a vu sa convention de base révoquée en juillet, suivie en août du retrait pur et simple de son permis minier. Dans un communiqué, GAC a dénoncé une “expropriation illégale” et décrit les actions du gouvernement comme une “suspension sans fondement légal” de ses activités, déjà arrêtées de force depuis fin 2024. L’ouverture d’une procédure d’arbitrage semble désormais inévitable.
D’autres opérateurs — Arrow Minerals, Predictive Discovery, Falcon Energy Materials, pour ne citer qu’eux — rapportent un traitement similaire. Révocations sans avertissement. Absence de procédure. Pas de clarté. Pas d’État de droit.
Pendant ce temps, à Conakry, les autorités continuent de vanter la notation souveraine comme un tournant historique. Mais à quoi sert une note si les entreprises sont expropriées, si les permis disparaissent du jour au lendemain, et si les sociétés d’État se retrouvent entraînées devant les tribunaux étrangers ? Car voici la réalité : les notations souveraines mesurent la discipline budgétaire, pas la gouvernance opérationnelle. Les agences observent les budgets, les profils de dette, la stabilité macroéconomique. Mais elles ne capturent pas l’expérience vécue des investisseurs : la peur de décisions arbitraires, l’effondrement de l’État de droit, ou encore le sentiment qu’un accord signé aujourd’hui pourrait ne pas survivre à demain.
Pire, la vague de plaintes et de procédures d’arbitrage engagées après ces retraits massifs de permis risque d’avoir un impact profondément négatif sur cette première notation souveraine. Les réclamations portées par Axis, GAC et d’autres compagnies minières devraient dépasser plusieurs milliards de dollars, avec des passifs potentiels qui pèseront sur le bilan de la Guinée. Une condamnation lourde pourrait entraîner une dégradation de la note en raison d’un risque accru de défaut, réduisant la confiance des marchés et alourdissant le coût de l’emprunt.
La Guinée a raison de viser haut. Elle a raison de rechercher la crédibilité budgétaire. Mais la crédibilité ne se construit pas seulement dans des tableaux Excel — elle se construit sur le terrain. Et du terrain, la vue est aujourd’hui beaucoup moins idyllique que ne l’imaginent les agences de notation.
En résumé : le pays a été noté. Mais ce sont les opérateurs qui se sentent mis en examen.
Ibrahim Camara, économiste international