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Le secteur bancaire en République de Guinée traverse depuis des semaines une zone de turbulences qui secoue les entreprises et les particuliers. De nos jours, retirer un gros montant dans les banques primaires est devenu un parcours du combattant. Selon des témoignages, il est quasiment impossible de sortir plus de 20 000 000 de francs guinéens à travers un seul retrait.
Pour comprendre les causes, les conséquences et les solutions envisageables, Mediaguinee a réalisé une interview vendredi 13 juin 2025, avec Abdoulaye Guirassy, économiste-politologue, membre correspondant de l’Académie des sciences de Guinée, chargé de cours d’économie monétaire à l’ESKIG et également président de l’ONG CRAS, (Cercle de Réflexion et d’Analyse de la Conjoncture Économique).
Mediaguinee: M. Guirassy, selon vous, quelles sont les causes et les conséquences de cette crise qui s’est installée depuis quelques semaines au niveau du secteur bancaire en République de Guinée?
Abdoulaye Guirassy : vous avez bien dit crise, j’apprécie bien ce concept, car beaucoup parlent de pénuries de liquidités, de pannes de liquidités, mais le bon terme c’est bien la crise, la crise s’est installée. Mais moi je prends la parole, je réponds à votre invitation, pas pour tirer sur l’ambulance, mais simplement pour éclairer la lanterne des uns et des autres, afin que nous puissions trouver des solutions palliatives qui permettent au pays de se sortir de cette crise-là.
Aujourd’hui, le pays est dans une dynamique à saluer. Les Guinéens ont retrouvé l’espoir sous la gouvernance du président Mamadi Doumbouya. Mais cependant il y a des petits couacs et actuellement c’est sûr que le président est en train de se demander quelles sont les causes de cette crise-là, et je suis certain que les gens ne vont pas dire la vérité. C’est pourquoi je prends la parole pour l’alerter, pour l’informer sur les causes profondes de cette crise, dans le but exclusif de trouver une solution urgente à cette crise-là.
Mediaguinee : les causes ?
Abdoulaye Guirassy : les causes de cette crise de liquidités peuvent être multifactorielles, mais la cause, à mon sens, principale, la cause essentielle de cette crise-là, il faut avoir un oeil regardant, il y a deux ans, il y a un peu moins de deux ans, sur la levée des 5 000 milliards de francs guinéens procédés par le Ministère des Finances. Pour la petite histoire, le ministre des Finances d’alors, M. Moussa Cissé, pour faire face au manque de trésorerie de l’État, a trouvé un subterfuge, une fuite en avant, pour pallier le manque de trésorerie, afin de financer le besoin de l’État dans la réalisation des infrastructures pour financer les infrastructures de l’État. Et donc, l’artifice trouvé était quoi? C’était de mettre les banques commerciales à contribution, en ponctionnant les réserves obligatoires des banques commerciales détenues par la Banque centrale. Le mécanisme est un peu sophistiqué, mais vous me permettrez de l’expliquer brièvement.
« Actuellement, la Banque centrale émet un chèque de liquidité, ça sort. Mais la confiance du public étant ébranlée, le taux de bancarisation a baissé. Il n’y a pas de retour vers les banques. Les gens ne déposent pas leur argent à la Banque. Il y a un système informel qui est en train de prendre le dessus à Madina. Il y a des banques parallèles qui sont créées à Madina. Il y a un système de profit indû qui est en train de se créer à Madina. C’est une menace pour notre économie. Là, c’est également l’une des causes de cette pénurie de liquidités. Il y a aussi comme cause l’absence d’un marché interbancaire de liquidités dans notre système bancaire. Mais il faudrait que nous trouvions des solutions idoines le plus rapidement pour sortir de cette situation car c’est très gravissime pour notre économie »
Mediaguinee : Comment fonctionne le marché monétaire ?
Abdoulaye Guirassy : Le marché monétaire, c’est ce grand marché de court terme qui réunit, qui a deux compartiments : le marché interbancaire et le marché d’études et créances négociables. Le marché interbancaire, c’est ce marché qui réunit la Banque centrale et les banques commerciales, dans lequel les banques se retrouvent pour faire le système de compensation bancaire. La Banque A encaisse le chèque de la Banque B, la Banque B encaisse le chèque de la Banque C, et chaque jour, au soir, les banques se retrouvent pour rembourser les unes les autres des chèques encaissés. À l’issue de l’opération, certaines banques vont se retrouver en excédent de liquidités, d’autres vont se retrouver en déficit de liquidités. La logique voudrait que les banques en excédent de liquidités prêtent aux banques ayant un déficit de liquidité.
Cependant, dans ce marché, les banques peuvent faire des anticipations pessimistes sur l’avenir économique et refuser de se prêter entre elles le déficit d’argent qui peut arriver dans les banques. C’est à ce moment que la Banque centrale peut intervenir pour jouer ce qu’on appelle le rôle de prêteur en dernier ressort, en prêtant l’argent aux banques en déficit de liquidité. C’est comme ça que fonctionne le marché interbancaire.
Mediaguinee : Que se passe-t-il en cas de manque de liquidités ?
Abdoulaye Guirassy : Et en cas de crise de liquidités dans le marché interbancaire, le premier matelas financier dans lequel la Banque centrale s’appuie pour faire face à la pénurie de liquidités, c’est d’abord les réserves obligatoires des banques commerciales détenues par la Banque centrale. Je rappelle que ces réserves obligatoires, ce taux de réserve obligatoire, c’est le deuxième instrument de politique monétaire le plus essentiel après le taux directeur, c’est bien le taux de réserve obligatoire.
Malheureusement, l’État a procédé à ponctionner ces réserves obligatoires-là au niveau de la Banque centrale. Et aujourd’hui, il y a une peine de liquidité, une pénurie de liquidité, mais malheureusement, la réserve obligatoire n’est pas encore reconstituée. Le taux de réserve est actuellement abaissé. Avant, il était à 15% il y a deux ans. Il est descendu à 13%. Aujourd’hui, il est à 12,25%. Ce taux est là aujourd’hui. Mais malheureusement, le stock qui était là, détenu par la Banque centrale, a été ponctionné par l’État pour faire face à sa dépense d’investissement. L’opération en soi n’est pas illégale, mais le montant ne doit pas se focaliser sur les réserves obligatoires. Là, ça a été une erreur. Je l’ai martelé en 2023, et j’ai même prédit cette peine de liquidité. Aujourd’hui, nous sommes dans cette situation.
Deuxième conséquence, c’est la crise de confiance. Il faut le dire. La Banque centrale a pris une série de décisions qui ont fortement ébranlé la bonne collaboration avec les systèmes bancaires. Notamment, l’imposition des frais de retraite de 1%. Vous savez, comme je l’ai dit tantôt, les banques commerciales ont leur compte à la Banque centrale. La Banque centrale n’est pas une banque commerciale. C’est un service public. Elle n’a pas vocation à faire du profit. Donc, à chaque fois que les banques commerciales viennent retirer leur argent à la Banque centrale, il n’y a pas lieu de facturation. Il n’y a pas de frais à payer. Malheureusement, l’actuelle gouvernance de la Banque centrale a décidé d’imposer un frais de retraite de 1% à chaque retrait. Là également, ça a instauré une certaine méfiance à la Banque commerciale.
Troisièmement, c’est un circuit.
Le financement est un circuit. Les gens déposent leur argent dans la Banque commerciale. La Banque centrale perçoit une petite partie sous forme de réserve obligatoire. La Banque centrale refinance encore la Banque commerciale. La machine tourne. Actuellement, la Banque centrale émet un chèque de liquidité, ça sort. Mais la confiance du public étant ébranlée, le taux de bancarisation a baissé. Il n’y a pas de retour vers les banques. Les gens ne déposent pas leur argent à la Banque. Il y a un système informel qui est en train de prendre le dessus à Madina. Il y a des banques parallèles qui sont créées à Madina. Il y a un système de profit indû qui est en train de se créer à Madina. C’est une menace pour notre économie. Là, c’est également l’une des causes de cette pénurie de liquidités. Il y a aussi comme cause l’absence d’un marché interbancaire de liquidités dans notre système bancaire. Mais il faudrait que nous trouvions des solutions idoines le plus rapidement pour sortir de cette situation car c’est très gravissime pour notre économie.
Aujourd’hui, on a une croissance qui avoisine le 7%, 7,1%. Normalement, la logique voudrait une croissance économique forte. La masse monétaire doit croître forcément. Donc, une croissance économique forte génère forcément une expansion de la masse monétaire et donc génère forcément de la surchauffe. Une croissance de 7%, c’est de la surchauffe. Ça doit générer de l’inflation normalement. Mais aujourd’hui, vous avez un système économique où il y a une forte croissance de 7%, mais l’inflation est en train de réduire. L’inflation est à 3%. Ce n’est pas un bon score. Contrairement à ce que j’ai entendu, le ministre des Finances se félicite du taux bas de l’inflation. Moi je ne peux pas apprécier, dans un pays en dynamique transitoire, où le taux de croissance est à 7,1% et qu’on a une inflation seulement à 3%. Les deux sont antinomiques. Normalement, une croissance forte rime avec une inflation un peu élevée. C’est ça la norme.
Mediaguinee : Que risque-t-il de se produire en pareille circonstance ?
Abdoulaye Guirassy : Mais si on ne fait pas attention à cette pénurie-là, l’inflation va continuer à baisser. Ce qui nous guette, ce n’est pas une faute à l’inflation, mais c’est la déflation qui nous guette. La déflation, c’est la baisse du taux d’inflation, la baisse du contenu d’inflation. Et ça, c’est encore plus néfaste qu’une augmentation de l’inflation. La déflation est plus grave que l’inflation.
Tenez-vous bien, la plupart des crises que l’humanité a connues, la crise boursière de 1929, la crise de 2008, l’ensemble des crises, ce sont des crises de déflation, où les prix baissent. Quand les prix baissent, la conséquence est que les agents économiques vont reporter leurs habitudes de consommation. Et tant et si longtemps que les gens ne consomment pas, ils vont être en crise.
La déflation, c’est une grève contre la consommation. Et la consommation, c’est le carburant de l’économie. C’est l’essence de l’économie. Si les citoyens ne consomment pas, l’économie perd son essence. Parce qu’on produit pour vendre. Et si on ne vend pas, on va fermer, le chômage va s’installer. On aura une spirale de crises. C’est pourquoi nous devons chercher des solutions idoines le plus rapidement possible pour trouver des solutions palliatives à cette crise de liquidité.
Mediaguinee : Quel rôle la banque centrale peut-elle jouer pour désamorcer cette situation le plus rapidement possible ?
Abdoulaye Guirassy : Aujourd’hui, il faut qu’il y ait une solution qui réunisse tout le monde. La banque centrale n’a pas la baguette magique pour trouver une solution à ce problème-là. Aujourd’hui, elle essaie de faire son mieux pour injecter de la liquidité. C’est pas parce que la banque centrale ne fait rien, la banque centrale agit. Ces derniers temps, la banque centrale a injecté peut-être plus de 3 000 milliards. C’est devenu un puits sans fond. La liquidité sort de la banque centrale vers les banques commerciales, mais ça ne retourne pas. Les gens ne déposent plus leur argent dans les banques. Dans les banques, il y a une méfiance qui s’installe et les cambistes à Madina profitent de cette surenchère-là pour s’enrichir, pour développer un système informel. Un système informel, un système de marché parallèle. Je ne dis pas le marché noir, mais c’est parallèle. Et par définition, le marché parallèle, c’est le marché de la demande insatisfaite.
Il faut trouver une solution. Il s’agit de plus rapidement d’ouvrir une large concertation avec la banque centrale, les banques commerciales, sous la coupole de l’APB, (l’Association des Professionnels de Banque) pour d’abord supprimer les fameux frais de 1% que les banques commerciales payent à la banque centrale, supprimer cela. Et surtout l’économie fonctionne sur la perception. Même si le comité est bien géré, si la perception est mauvaise, ça ne marche pas. Il faut rassurer, rétablir la confiance en mettant en place des dispositifs au niveau des banques commerciales qui rassurent les clients à venir déposer leurs dépôts dans les banques commerciales, dans lesquelles les banques commerciales vont aussi faire des réserves obligatoires pour la banque centrale. La machine reprend, la locomotive reprend la marche normale. Mais tant et si longtemps que la confiance n’est pas rétablie, l’arrivée est perdue.
Mediaguinee : En pareille circonstance, pensez-vous que le plafonnement du retrait d’argent dans les banques primaires à 20 millions de francs est une bonne solution ?
Abdoulaye Guirassy : C’est une fausse solution à un vrai problème. Mais comment ils peuvent en faire autrement ? La banque centrale envoie l’argent aux banques commerciales, elle injecte la liquidité, donc on fait retourner la planche à billet. On fait tourner, tourner, ça sort, mais il n’y a pas de retour. Est-ce qu’il faut laisser la vanne ouverte, sans contrôle ? On ne peut pas, c’est normal qu’on rationne, en attendant que la poussière retombe. La poussière retombe, c’est tout ça. Mais si on ne le fait pas, on va sortir l’argent, et puis finalement la crise va s’amplifier.
Donc c’est normal, vous avez vu, même dans les pays en guerre où la liquidité se ralentit, on rationne, c’est normal. À un problème exceptionnel, des mesures exceptionnelles.
Mediaguinee : Quelles sont les conséquences si cette crise perdure à moins terme et à long terme ?
Abdoulaye Guirassy : Les conséquences peuvent être néfastes pour l’économie, aussi bien pour les entreprises que pour les particuliers. Vous savez, nous avons un système de finance indirect. Il y a deux formes de système de finance, la finance directe et la finance indirecte. La finance indirecte, c’est un système où la banque assure l’intermédiation financière entre les agents à capacité de financement et les agents en besoin de financement. Notre système économique, les banques sont au cœur du système. Contrairement au système de finance directe où les marchés financiers sont présents. Mais nous, à date, on n’a même pas de marché financier. Dans notre système de finance directe, les banques sont le poumon de notre économie. Les banques qui financent l’entreprise, qui recueillent l’argent du public et qui les donnent en crédit aux autres. Ils sont au cœur du système. Si ce système bancaire-là est en panne, tenez-vous bien que le système est en difficulté. Et aujourd’hui, la dynamique moi je voudrais qu’on aide les autorités à trouver des solutions.
Les conséquences, c’est que les entreprises vont voir leurs sources de financement s’assécher. Ils n’auront pas de financement au niveau des banques parce qu’il n’y a pas de liquidités. Et qui parle du développement d’un pays, parle du développement des PME et des PMI qui sont à la manette pour développer le pays grâce à leur croissance économique. Si ces derniers-là n’ont pas de financement, c’est un problème majeur.
Encore, venant au particulier, M. et Mme Tout-le-Monde, si ces derniers-là n’ont plus accès aux crédits liés à la consommation, pour faire leur maison, pour acheter leurs voitures, pour acheter leurs besoins les plus immédiats au niveau du prêt bancaire, c’est aussi un frein à l’économie parce que la consommation peut être limitée. La consommation également c’est le camion de l’économie. Si la consommation baisse, l’économie va prendre un coup. Donc aujourd’hui, on a une dynamique de croissance très forte à 7,1 %, mais si on ne trouve pas les mesures idoines sur cette crise-là, notre croissance risque de se plomber. La Guinée risque de desserrer sa croissance en retournant en récession. Et cela n’est pas souhaitable parce que la récession est dommageable pour l’économie. C’est un genre de chômage. Et donc, il y a une dynamique globale.
Rarement, les Guinéens ont gardé une certaine espérance. La gouvernance du président Doumbouya a rassuré les Guinéens. Mais ces petits couacs-là, on doit aider le président à trouver de bonnes solutions à cela. Je suis sûr actuellement qu’il est en train de se poser des bonnes questions pour la crise, mais les gens ne vont jamais dire la vérité. C’est pourquoi nous, nous prenons la parole pour l’alerter, pour dire la vérité. Et nous sommes des Guinéens, nous sommes un groupe de réflexion, nous sommes des économistes. Nous devons parler la parole, aider le président à trouver la solution à ce problème-là. Nous sommes prêts à parler avec lui pour l’aider, pour l’aider en termes de conseils à sortir de cette situation de crise.
Mediaguinee : Vous, en tant qu’acteur économique, quelles solutions proposez-vous pour passer ce cap ?
Abdoulaye Guirassy : Il n’y a pas une baguette magique sur laquelle on va appuyer. Il s’agit simplement de rétablir la confiance, de remettre la machine en marche. C’est tout. Sans la confiance, la confiance, c’est l’alpha et l’oméga de l’économie. Quand c’est longtemps que la confiance est entamée, le système va être grippé. C’est ça la vérité. Aujourd’hui, il faut que la Banque centrale lâche du lest en ouvrant une large consultation avec l’ensemble des intervenants du système économique. Aussi bien les banques commerciales, l’APB, les opérateurs économiques, plein de tout le monde. Essayer de rassurer tout le monde pour dire que oui, le système a commis des failles et on va corriger.
Mais surtout, moi je dis, moi je suis très gêné qu’on ne m’a pas écouté en 2023 lors de mon émission à Mirador du 5 octobre. J’avais dit clairement que ce montage financier de 5 000 milliards, je ne suis pas contre, c’est tout à fait normal. Mais le modus operandi d’aller lever les réserves obligatoires des banques commerciales au niveau de la Banque centrale a été une erreur. Ça je l’ai dit, je l’ai remarqué aujourd’hui encore et à mon humble avis, c’est l’une des causes profondes de la crise.
Réalisée par Mamadou Yaya BARRY
L’article INTERVIEW – Abdoulaye Guirassy dévoile la pénurie de liquidités dans les banques : “les gens ne déposent pas leur argent à la banque. Un système informel prend le dessus à Madina” est apparu en premier sur Mediaguinee.com.