Diffusion de fausses infos par un journaliste sur son espace privé et sanctions de la HAC: le regard d’un juriste (Tribune)

il y a 4 heures 23
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Le mercredi 11 juin 2025, la Haute Autorité de la Communication de la République de Guinée, dans sa décision référencée N°006/HAC/P/25 portant interdiction de l’exercice du métier de journaliste, a interdit jusqu’à nouvel ordre et ce, conformément aux dispositions des articles 98 et 106 de la Loi organique L/2010/02/CNT du 22 juin 2010 portant liberté de la presse en République de Guinée et celles de l’article 52 de la Loi L.2020/0010/AN de juillet 2020 portant attributions, composition, organisation et fonctionnement de la Haute Autorité de la Communication à Monsieur Lamine GUIRASSY (journaliste et promoteur de médias), l’exercice du métier de journaliste avec pour motifs : la diffusion de fausses nouvelles et fausses consignes.

Loin de toutes observations nourries d’émotion et sans la moindre prétention de remettre en cause la contribution de l’homme dans la sphère médiatique dans notre pays,

  • Il reste évident que Monsieur GUIRASSY a publié via un espace numérique notamment son compte X, des informations non avérées et qui n’ont par la suite, pas été démenties par le principal intéressé ;
  • Et que ces informations ont soulevé des inquiétudes dans la cité, provoquant donc un trouble à l’ordre public.

En effet, le cas d’espace invite à clarifier certaines notions qui relèvent in extenso du droit du numérique. Parmi ces notions, nous pouvons noter :

L’espace numérique privé : c’est l’espace dédié à la gestion de la vie personnelle, des contacts, des activités non professionnelles. Cet espace requiert l’utilisation d’outils comme les environnements sociaux tels Facebook, Instagram, twitter ; ou la messagerie instantanée comme WhatsApp ; ou encore courriel personnel.

L’espace numérique professionnel :  c’est l’espace où l’on utilise des outils numériques pour travailler, collaborer, et gérer les informations d’une entité telle une entreprise.

Il est utilisé en principe pour effectuer un travail, pour collaborer avec des collègues, communiquer avec l’extérieur comme la clientèle, accéder aux données d’une l’entreprise par exemple, …

A titre d’exemples, les outils utilisés peuvent être le courriel professionnel, l’intranet, les logiciels de gestion, système de stockage de données de l’entreprise.

L’espace numérique privé du journaliste : il est constitué de l’ensemble des outils numériques personnels d’un journaliste. Ces outils sont composés de la messagerie privée, du compte cloud, du téléphone personnel, des réseaux sociaux privés, etc. C’est donc l’espace où le journaliste peut partager ses pensées, ses opinions et ses expériences personnelles sans être lié en principe par la profession et sans compromettre sa neutralité professionnelle.

L’espace numérique professionnel du journaliste : celui-ci comprend les outils et supports liés à l’activité journalistique (ordinateur professionnel, courriels professionnels, carnet de notes, plateformes professionnelles, etc.). Dans cet espace, le journaliste doit observer objectivité et neutralité dans ses publications et ses interactions professionnelles. Il doit vérifier ses sources pour éviter de diffuser d’informations non vérifiées et respecter les règles de déontologie du métier.

Ainsi quelques interrogations nous taraudent l’esprit.

  • L’espace numérique privé d’un journaliste est-il assimilable à son espace professionnel ?
  • Entre la loi organique L/2010/002/CNT du 22 juin 2010 portant sur la liberté de la presse et la loi L/2016/037/AN relative à la cybersécurité et le traitement des données à caractère personnel, laquelle devrait être appliquée ?
  • La Haute Autorité de la Communication est-elle compétente en l’espèce pour se saisir de cette affaire et éventuellement infliger une quelconque sanction fut-elle administrative au prévenu ? Si oui, à quelles exigences administratives préalables obéit-elle ?
  • Enfin, que dire de la légalité de la sanction prononcée par la HAC ?
  • L’ESPACE NUMERIQUE PRIVE D’UN JOURNALISTE EST-IL ASSIMILABLE A SON ESPACE PROFESSIONNEL ?

D’entrée de jeu, il convient de noter que dans la pratique, la frontière entre les deux espaces est souvent floue, surtout lorsque les outils personnels sont utilisés dans un cadre professionnel, ou inversement.

En réalité, cette question fait l’objet de réflexions divergentes en raison de l’opportunité que s’offre chaque observateur qu’il soit juriste ou non. Cela oppose deux écoles de pensées.

Pour la première école qui est celle de l’affirmative, l’espace numérique privé d’un journaliste peut être assimilé à son espace professionnel si ce dernier y conserve des informations liées à son activité (contacts, documents, diffusion d’informations, échanges avec des sources).

Dans certaines situations exceptionnelles, l’espace numérique privé peut être assimilé à l’espace numérique professionnel soit :

  • En cas d’usage excessif ou abusif d’un outil professionnel à des fins privées
  • Si l’utilisateur mélange volontairement les deux espaces. C’est le cas d’utilisation de l’adresse e-mail professionnelle ou d’une plateforme pour des activités personnelles de manière répétée ou inversement.

Pour l’autre école, l’espace numérique privé du journaliste ne peut pas être automatiquement considéré comme professionnel au sens strict, car cela porterait atteinte à sa vie privée. A rappeler l’existence d’une loi qui protège les données à caractère personnel ; et aussi dans la pratique du métier de journaliste, les sources sont protégées.

En France et en Europe, la jurisprudence tend à protéger l’espace numérique privé des journalistes, notamment lorsqu’une perquisition ou une surveillance pourrait révéler des sources.

Dans l’affaire Roussel c. France, 2023, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé qu’un journaliste ne peut être contraint de livrer ses sources, même si elles se trouvent sur son téléphone personnel.

  • ENTRE LA LOI ORGANIQUE L/2010/002/CNT DU 22 JUIN 2010 PORTANT SUR LA LIBERTE DE LA PRESSE ET LA LOI L/2016/037/AN RELATIVE A LA CYBERSECURITE ET LE TRAITEMENT DES DONNEES A CARACTERE PERSONNEL, LAQUELLE DEVRAIT ETRE APPLIQUEE ?

Dans l’acception selon laquelle l’espace numérique privé d’un journaliste peut être assimilable à son espace numérique professionnel, la loi sur la liberté de la presse est applicable. Son applicabilité résulte du fait qu’elle est celle qui s’applique à tout journaliste qu’il soit indépendant ou non ; et à tout organe de presse qu’il soit audiovisuel, écrit ou en ligne. Suivant toujours cette logique, elle se veut plus clémente dans la mesure qu’elle procède faut-il le rappeler à la dépénalisation du délit de presse.

 Mieux, en considération de la définition donnée par le législateur guinéen de la notion de service de presse en ligne conformément à l’article 42, de la loi L002 « est appelée service de presse en ligne (site web, blog, site de réseaux sociaux, etc…) tout service de communication en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maitrise éditoriale de son contenu… », il convient de mettre en exergue l’expression ‘’site de réseaux sociaux’’

En effet, la notion de site de réseaux sociaux professionnel nous renvoie à une plateforme en ligne dédiée aux activités professionnelles et ayant pour objectif :

  • Le développement de carrière ;
  • Le réseautage ;
  • La recherche d’opportunités ;
  • Le partage de connaissances ou d’informations.

Le réseau X peut donc être considéré comme un site de réseaux sociaux professionnel, bien que son rôle principal demeure celui d’un espace de micro blog.

A l’opposé de la première acception, la deuxième nous renvoie à l’application de la loi L 0037 relative à la cybersécurité et à la protection des données à caractère personnel. Il s’agit d’une loi spéciale en République de Guinée qui réprime toutes les infractions pénales commises dans le cyber espace.

L’espace numérique par définition désigne l’ensemble des environnements virtuels créés par les technologies numériques. Il s’agit là d’un espace non physique, mais bien réel, où, les personnes physiques, morales et les machines communiquent, partagent, produisent ou consomment des données via internet ou des réseaux.

La plateforme X anciennement appelée Twitter sur laquelle ces fausses informations ont été diffusées en est donc un.

Ainsi, au regard de la loi citée supra, la diffusion de fausses informations sur l’espace numérique ne reste pas impunie. Cela s’illustre clairement à ses articles 31 et suivants « La production, la diffusion ou la mise à disposition de données susceptibles de troubler l’ordre ou la sécurité publics, ou portant atteinte à la dignité humaine, par le biais d’un système informatique, se rend coupable de délit, et sera puni par la loi ».

Les sanctions à cette infraction sont prévues à l’article 32 « Quiconque produit, diffuse ou met à la disposition d’autrui des données de nature à troubler l’ordre ou la sécurité publics ou à porter atteinte à la dignité humaine par le biais d’un système informatique, se rend coupable de délit et sera puni d’un emprisonnement de six (6) mois à cinq (5) ans et d’une amende de 20.000.000 à 300.000.000 Francs Guinéens. »

Quant-à l’article 35, il dispose que « Quiconque communique ou divulgue par le biais d’un système informatique, une fausse information tendant à faire croire qu’une destruction, une dégradation ou une détérioration de biens ou une atteinte aux personnes a été commise ou va être commise sera puni d’un emprisonnement de six (6) mois à trois (3) ans et d’une amende de 20.000.000 à 100.000.000 Francs Guinéens ou de l’une de ces deux peines seulement…

Quiconque communique ou divulgue par le biais d’un système informatique, une fausse information tendant à faire croire à un sinistre ou à toute autre situation d’urgence, sera au même titre que son complice, puni des mêmes peines que celles prévues à l’alinéa 1er du présent article. »

Autant de dispositions pénales pour intenter une action contre toutes les personnes ayant produit, diffusé et transmis ces fausses informations.

  • LA HAUTE AUTORITE DE LA COMMUNICATION EST-ELLE COMPETENTE EN L’ESPECE POUR SE SAISIR DE CETTE AFFAIRE ET EVENTUELLEMENT INFLIGER UNE QUELCONQUE SANCTION FUT-ELLE ADMINISTRATIVE AU PREVENU ? SI OUI, A QUELLES EXIGENCES ADMINISTRATIVES PREALABLES DEVRAIT-ELLE OBEIR ?

S’il est établi que l’espace numérique privé du journaliste est assimilable bien sûr sous certaines conditions à son espace numérique professionnel d’une part, et d’autre part, si l’on considère la plateforme X comme un site de réseaux sociaux, on peut sans risque de se tromper, acquiescer que la HAC est bel et bien compétente.

La loi L/2020/0010/AN du 3 juillet 2020 portant attributions, composition, organisation et fonctionnement de la Haute Autorité de la Communication (HAC) de la République de Guinée confère à la HAC la fonction régulatrice des organes de presse (article 1er), de défense du droit des citoyens à l’information (article 2), …

Plus loin, la jurisprudence française assimile l’espace numérique privé d’un journaliste à son espace numérique professionnel, notamment en ce qui concerne les outils informatiques mis à disposition par son employeur.

Dans l’arrêt Nikon rendu le 2 octobre 2001, la Cour de cassation a affirmé que « le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée », incluant le secret des correspondances.  Ainsi, l’employeur ne peut pas consulter les messages personnels d’un salarié sur son ordinateur professionnel sans violer ce droit, même si l’usage privé est interdit par la charte informatique de l’entreprise.

Cette jurisprudence s’applique de manière similaire aux agents des médias.  C’est pourquoi, les outils informatiques fournis par l’employeur sont présumés être à usage professionnel.  Cependant, si le journaliste identifie clairement un fichier ou un message comme personnel (par exemple, en le plaçant dans un dossier nommé « privé »), l’employeur ne peut y accéder sans son consentement, sauf en cas de risque ou d’événement particulier.

En Afrique du Sud, avec la Protection of Personal Information Act (POPIA), la jurisprudence locale établit que les employeurs peuvent accéder à des communications professionnelles, mais que les communications privées, même sur des appareils professionnels, doivent bénéficier d’une certaine confidentialité, sauf preuve d’abus ou infraction.

Au Sénégal, la CDP (Commission des données personnelles) a, à plusieurs reprises, rappelé que l’employeur peut surveiller les outils numériques professionnels, mais pas ceux explicitement privés, sauf exception (comme une menace à la sécurité).

Par ailleurs, si la HAC est compétente de prendre une décision sanctionnatoire, elle reste tout de même assujettie au respect d’une certaine procédure qui sied en la matière.

En effet en matière administrative, le régime juridique de l’acte administratif est relatif aux règles qui s’appliquent à son élaboration, à son exécution ainsi qu’à son application dans le temps.

Sur le forme, l’élaboration de l’acte administratif obéit très souvent à des procédures contradictoires et consultatives. En l’espèce, nous faisons focus sur les procédures contradictoires qui restent sans nul doute un moyen de défense prima facie des administrés.

Le Conseil d’Etat français, dans son arrêt Dame Veuve Trompier-Gravier du 5 mai 1944, estime que toute mesure qui a le caractère d’une sanction doit faire l’objet d’une procédure contradictoire : l’intéressé doit pouvoir connaître ce qu’on lui reproche.

Aussi, le décret du 28 novembre 1983, texte relatif aux relations entre l’administration et les usagers prévoit que toutes les mesures défavorables à leurs destinataires ou dérogeant à une réglementation ne peuvent être prises qu’à l’issue d’une procédure contradictoire.

Ce droit de Lamine GUIRASSY a-t-il été respecté ?

  • QUE DIRE DE LA LEGALITE DE LA SANCTION PRONONCEE PAR LA HAC CONTRE M. GUIRASSY ?

Cette banale mais indispensable question nous renvoie à la notion de la légalité, c’est-à-dire la soumission de l’administration au droit ou encore la conformité des actes de l’Administration au droit. Elle ne consiste cependant pas à donner une image idyllique à l’institution.

Ainsi, les règles que doit respecter l’administration sont nombreuses. La légalité doit donc être comprise au sens large. En font partie : les règles constitutionnelles, les règles internationales, les règles législatives et réglementaires, et enfin les règles jurisprudentielles.

En l’espèce sur le fond, la loi L/2020/0010/AN du 3 juillet 2020 portant attributions, composition, organisation et fonctionnement de la Haute Autorité de la Communication (HAC) de la République de Guinée en son article 52 dispose  que «…Sans préjudice des décisions que pourront prendre les autorités judiciaires pour sanctionner les infractions indiquées dans la présente loi, et les autorités administratives dans le cadre de la communication, la HAC peut, lorsque les dispositions de la loi en matière de communication ne sont pas respectées, prendre les sanctions suivantes :

avertissement ;

mise en demeure ;

suspension ;

interdiction… »

En conclusion, au regard de tout ce qui précède, il faut retenir que la loi L/037/AN/2016 s’applique à toute personne, qu’elle soit physique ou morale, qui commet une infraction en lien avec les technologies de l’information et de la communication sur le territoire guinéen et quel que soit sa profession.  Elle couvre également les actes commis à l’étranger lorsque l’infraction a des effets sur le territoire national.

Le cyberespace peut être privé ou professionnel. Ces deux espaces, dans certains cas exceptionnels peuvent être confondus faisant passer l’espace numérique privé en un espace numérique professionnel et inversement. Pour éviter cette confusion, il est judicieux de distinguer nettement ce qui doit être diffusé sur chaque espace.

Compte tenu de la gravité de ces fausses informations, des actions doivent être intentées contre toutes les personnes les ayant produites, diffusées et transmises conformément aux articles 31 et suivants de la loi L0037.

La loi L0037 étant une loi pénale sévère, peut-on dire que la sanction infligée à Monsieur GUIRASSY par la HAC du fait d’avoir publié de fausses informations sur son compte X (à la fois un espace numérique mais aussi un site de réseaux sociaux), plaide-t-il en sa faveur ?

Odilon MAOMY

 Juriste chargé du cours de droit du numérique

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