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Il est des moments dans la vie d’une nation où le silence devient une faute, et où la parole doit s’élever non pour condamner aveuglément, mais pour interpeller solennellement. C’est dans cet esprit de franchise républicaine, avec la gravité qu’impose la situation de notre pays, que je m’adresse à vous aujourd’hui.
Monsieur Bah Oury,
Je prends ma plume aujourd’hui, mû par un profond sentiment de trahison, de désillusion et d’indignation. Je ne vous écris pas en adversaire politique, ni en simple observateur, mais en compagnon de lutte d’hier, témoin direct de votre engagement passé, de vos discours enflammés contre l’arbitraire, et des sacrifices consentis au nom de notre idéal commun : une Guinée démocratique, juste et respectueuse des principes républicains.
Les rumeurs persistantes laissent entendre que vous vous apprêtez à devenir le directeur de campagne de Mamadi Doumbouya. Si cela se confirmait, permettez-moi de vous poser une question simple mais lourde de sens :
Comment regarderez-vous dans les yeux les victimes du 28 septembre 2009 ?
Comment justifierez-vous votre proximité avec un homme qui, d’une manière ou d’une autre, protège aujourd’hui ceux que vous combattiez hier avec tant de détermination ?
Comment expliquerez-vous votre position vis-à-vis de Moussa Dadis Camara, vous qui aviez été l’un des plus virulents opposants à son retour politique ?
Pendant de longues années, vous avez incarné, pour beaucoup d’entre nous, une figure d’opposition crédible et courageuse. Vous étiez cette voix forte et ferme qui s’élevait contre toute tentative de confiscation du pouvoir. Vous étiez, à juste titre, parmi les plus farouches opposants à la candidature de Moussa Dadis Camara. Vous dénonciez alors avec vigueur toute légitimité octroyée à un pouvoir issu d’un coup d’État. Cette position vous avait valu l’estime et la confiance d’une partie significative de la société civile et de la diaspora guinéenne.
Mais aujourd’hui, avec une tristesse mêlée de colère, je vous vois emprunter un chemin radicalement opposé à celui que vous défendiez autrefois. Vous avez choisi de vous associer au régime de Mamadi Doumbouya, un régime issu d’un putsch que vous auriez dénoncé sans réserve s’il s’était produit à une autre époque. Vous cautionnez désormais, par votre présence et votre posture, une transition qui n’en finit pas, un pouvoir qui s’installe dans la durée au mépris des engagements pris devant le peuple et la communauté internationale.
Ce revirement brutal soulève de lourdes interrogations. Pour beaucoup, il s’explique par une lecture personnelle et stratégique : vous estimez, semble-t-il, qu’il s’agit là de votre dernière opportunité d’accéder aux privilèges du pouvoir, sachant qu’une candidature présidentielle vous est désormais impossible, même par miracle. Ainsi, au lieu de demeurer fidèle aux idéaux qui vous ont longtemps défini, vous avez préféré vous installer dans les couloirs feutrés de la primature, quitte à cautionner l’inacceptable.
Mais ce qui me blesse le plus profondément, Monsieur Bah Oury, ce n’est pas votre ambition — elle peut être légitime — mais la trahison de notre lutte commune. Je me souviens encore de ces nuits blanches passées à vos côtés, à rédiger des communiqués, à mobiliser dans l’ombre, à affronter les risques pour défendre une cause que nous pensions juste et non négociable. Vous incarniez alors une boussole morale pour toute une génération. Aujourd’hui, je peine à reconnaître celui qui parlait avec autant de conviction de justice, de mémoire et de dignité nationale.
Votre posture actuelle brouille les repères et jette une ombre sur l’héritage que vous laisserez. En acceptant d’accompagner Mamadi Doumbouya, vous prenez le risque de suivre le chemin de Succès Masra au Tchad, rapidement intégré puis neutralisé par la junte de Mahamat Déby, ou encore celui de Choguel Maïga au Mali, d’abord glorifié puis marginalisé par les militaires. L’histoire récente de notre continent regorge d’exemples d’hommes politiques qui, croyant pouvoir « influencer de l’intérieur », ont fini par être réduits au silence ou instrumentalisés.
Et comme si cela ne suffisait pas, les rumeurs persistantes laissent entendre que vous vous apprêtez à devenir le directeur de campagne de Mamadi Doumbouya. Si cela se confirmait, permettez-moi de vous poser une question simple mais lourde de sens :
Comment regarderez-vous dans les yeux les victimes du 28 septembre 2009 ?
Comment justifierez-vous votre proximité avec un homme qui, d’une manière ou d’une autre, protège aujourd’hui ceux que vous combattiez hier avec tant de détermination ?
Comment expliquerez-vous votre position vis-à-vis de Moussa Dadis Camara, vous qui aviez été l’un des plus virulents opposants à son retour politique ?
L’Histoire est implacable. Elle retient moins les discours que les actes. Elle juge moins les intentions que les choix décisifs posés dans les moments charnières. Vous êtes aujourd’hui à une croisée de chemins. D’un côté, la fidélité aux principes républicains, à la mémoire des luttes et à l’idéal démocratique. De l’autre, la tentation de l’opportunisme politique et des arrangements tactiques de court terme.
Monsieur Bah Oury, vous avez marqué des générations par vos prises de position courageuses. Mais aujourd’hui, vous êtes en train de déconstruire, de vos propres mains, l’image que vous avez patiemment bâtie. L’histoire n’oubliera rien. Elle retiendra non pas vos discours d’hier, mais vos actes d’aujourd’hui. Elle jugera votre trajectoire non à l’aune de vos slogans, mais à celle de votre fidélité à la vérité et aux valeurs que vous prêchiez.
Je vous écris cette lettre ouverte non pas pour vous condamner personnellement, mais pour vous rappeler que la mémoire collective guinéenne est vivace, que les sacrifices consentis par des milliers d’anonymes ne peuvent être effacés par des calculs politiciens, et que les principes pour lesquels nous avons lutté ne sont pas négociables.
Monsieur Bah Oury, l’heure est grave. Vous êtes à la croisée des chemins : celui de l’opportunisme et de l’oubli, ou celui de l’honneur et de la cohérence historique. Vous avez encore la possibilité de vous hisser à la hauteur de votre propre histoire. Le destin politique d’un homme se joue rarement dans la durée, mais souvent dans quelques choix décisifs. Celui qui se présente à vous aujourd’hui déterminera la place que vous occuperez dans les annales de la République de Guinée. À vous de choisir la trace que vous laisserez dans le grand livre de l’histoire guinéenne.
Puisse cette interpellation trouver en vous l’écho d’une conscience historique que beaucoup croyaient inébranlable.
TOB BALDÉ (PARIS)
L’article Lettre ouverte à M. le Premier ministre et compagnon de lutte d’hier : Pour l’histoire, la vérité et la mémoire collective (Par Tob Baldé) est apparu en premier sur Mediaguinee.com.