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L’histoire de la Guinée est une fresque d’espérances trahies, de promesses éblouissantes aussitôt éteintes par la réalité du pouvoir. Depuis l’aube de son indépendance, ce pays, qui aurait pu incarner la maturité politique de l’Afrique francophone s’est enlisé dans une tragédie cyclique : celle des espoirs avortés, des libertés confisquées et des rendez-vous manqués avec l’Histoire.
Dans une perspective analytique, mettant en lumière la configuration asymétrique de l’échiquier politique guinéen, la culture politique qui se caractérise par une dualité ethno-régionaliste et « néo-patrimonial » (I) et l’irruption répétitive de l’armée dans la gestion du pouvoir (II), nous tenterons d’expliquer, un tant soit peu, ce qui fait de la Guinée un pays au destin paradoxal.
𝐈- 𝐋𝐞𝐬 𝐝𝐲𝐧𝐚𝐦𝐢𝐪𝐮𝐞𝐬 𝐬𝐭𝐫𝐮𝐜𝐭𝐮𝐫𝐞𝐥𝐥𝐞𝐬 𝐝𝐮 𝐩𝐨𝐮𝐯𝐨𝐢𝐫 𝐞𝐧 𝐆𝐮𝐢𝐧𝐞́𝐞 : 𝐞𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐚𝐬𝐲𝐦𝐞́𝐭𝐫𝐢𝐞 𝐩𝐨𝐥𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞, 𝐥𝐨𝐠𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐞𝐭𝐡𝐧𝐨-𝐫𝐞́𝐠𝐢𝐨𝐧𝐚𝐥𝐢𝐬𝐭𝐞 𝐞𝐭 𝐥’𝐢𝐫𝐫𝐮𝐩𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐞𝐬 𝐦𝐢𝐥𝐢𝐭𝐚𝐢𝐫𝐞𝐬
La configuration du pouvoir en Guinée obéit à des dynamiques structurelles profondément enracinées, qui expliquent en partie la fragilité de son système politique et démocratique. Depuis l’indépendance, l’échiquier politique guinéen se caractérise par une asymétrie politique constante. Cette asymétrie du champ politique guinéen a favorisé l’émergence d’une culture politique à caractère ethno-régionaliste, où les appartenances identitaires et communautaires prédominent souvent sur les clivages idéologiques (A).
C’est justement dans ce contexte d’imbroglio politique et ethno-régionaliste que l’armée s’est présentée non seulement comme une force d’arbitrage, mais aussi comme un acteur politique à part entière (B), justifiant ainsi ses interventions répétitives dans la gestion du pouvoir politique par la nécessité de « 𝐬𝐚𝐮𝐯𝐞𝐫 𝐥𝐚 𝐑𝐞́𝐩𝐮𝐛𝐥𝐢𝐪𝐮𝐞 ».
𝐀- 𝐋𝐚 𝐜𝐮𝐥𝐭𝐮𝐫𝐞 𝐩𝐨𝐥𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐞𝐧 𝐆𝐮𝐢𝐧𝐞́𝐞 : 𝐝𝐞 𝐥’𝐞𝐭𝐡𝐧𝐨-𝐫𝐞́𝐠𝐢𝐨𝐧𝐚𝐥𝐢𝐬𝐦𝐞 𝐚𝐮 𝐧𝐞́𝐨-𝐩𝐚𝐭𝐫𝐢𝐦𝐨𝐧𝐢𝐚𝐥𝐢𝐬𝐦𝐞
L’échiquier politique guinéen a toujours été un espace de compétition symbolique entre les groupes ethnico-régionaux. C’est pourquoi le rapport au pouvoir repose sur une double logique : ethnique et néo-patrimoniale. D’un côté, les communautés perçoivent l’État comme le seul garant de leur protection sociale et identitaire, transformant la conquête du pouvoir en enjeu de survie collective. De l’autre, les élites politiques voient dans le pouvoir un instrument d’enrichissement et de préservation des privilèges. Ce double réflexe a engendré une gouvernance fondée sur la loyauté de façade et le clientélisme plutôt que sur les valeurs de compétence et le mérite. Ainsi, l’État, devenu un espace de prédation, s’est enfoncé dans une crise chronique, marquée par la corruption, l’instabilité et la reproduction des mêmes logiques de rente à chaque régime politique.
𝐁- 𝐃𝐞 𝐥𝐚 𝐜𝐫𝐢𝐬𝐞 𝐝𝐞 𝐥’𝐄́𝐭𝐚𝐭 𝐚̀ 𝐥𝐚 𝐦𝐢𝐥𝐢𝐭𝐚𝐫𝐢𝐬𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐮 𝐩𝐨𝐮𝐯𝐨𝐢𝐫 𝐩𝐨𝐥𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐞𝐧 𝐆𝐮𝐢𝐧𝐞́𝐞
De Sékou Touré au Général Mamadi Doumbouya, chaque régime politique en Guinée a reproduit, sous des formes variées, le même schéma de conquête, d’exercice et de conservation du pouvoir politique. Les coups d’État de 𝟏𝟗𝟖𝟒, 𝟐𝟎𝟎𝟖 et 𝟐𝟎𝟐𝟏 témoignent de cette cyclicité du pouvoir militaire, qui traduit non pas une vocation politique des forces armées, mais plutôt la faillite des institutions politiques à incarner un arbitrage neutre et crédible du fonctionnement de l’État, ainsi qu’une crise de gouvernance marquée par l’exacerbation de la pauvreté, le chômage généralisé des jeunes et le désespoir des populations.
Face à cette déliquescence du pouvoir civil et à la multiplication des crises ethno-régionalistes, l’armée s’est progressivement présentée comme le dernier rempart de la nation et du peuple. Héritière directe d’une tradition de discipline et d’unité, elle s’est investie d’une mission de « 𝐬𝐚𝐮𝐯𝐞𝐠𝐚𝐫𝐝𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐯𝐚𝐥𝐞𝐮𝐫𝐬 𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐑𝐞́𝐩𝐮𝐛𝐥𝐢𝐪𝐮𝐞 ». Dès lors, chaque épisode de crise politique majeure a servi de prétexte à un coup d’État militaire, souvent justifié par le besoin de « 𝐥𝐚 𝐫𝐞𝐟𝐨𝐧𝐝𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐞 𝐥’𝐄́𝐭𝐚𝐭 𝐞𝐭 𝐫𝐞𝐜𝐭𝐢𝐟𝐢𝐜𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐢𝐧𝐬𝐭𝐢𝐭𝐮𝐭𝐢𝐨𝐧𝐧𝐞𝐥𝐥𝐞 » faisant de la Guinée un pays des rendez-vous manqués avec l’Histoire – vide partem secundam.
𝐈𝐈- 𝐋𝐞 𝐩𝐚𝐫𝐚𝐝𝐨𝐱𝐞 𝐠𝐮𝐢𝐧𝐞́𝐞𝐧 : 𝐝𝐞 𝐥’𝐞𝐬𝐩𝐞́𝐫𝐚𝐧𝐜𝐞 𝐚̀ 𝐥𝐚 𝐝𝐞́𝐬𝐢𝐥𝐥𝐮𝐬𝐢𝐨𝐧
La Guinée occupe une place singulière dans l’histoire politique de l’Afrique contemporaine. Première ancienne colonie française d’Afrique subsaharienne à dire « 𝐍𝐎𝐍 » à la Communauté française en 1958, elle s’érigeait alors en symbole éclatant de la dignité africaine et de la souveraineté retrouvée. Ce choix courageux, porté par Ahmed Sékou Touré, incarnait l’espoir d’un État nouveau, affranchi des tutelles étrangères et tourné vers la justice sociale, l’unité nationale et le développement durable.
Mais plus de six décennies après cette indépendance héroïque, la Guinée semble prisonnière d’un cycle d’éternel recommencement, d’instabilités et de régressions des valeurs démocratique (A). Ce contraste entre l’espérance fondatrice et la désillusion historique constitue le symbole par excellence du paradoxe guinéen (B).
𝐀- 𝐋𝐞𝐬 𝐢𝐥𝐥𝐮𝐬𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐝𝐮 𝐜𝐞𝐧𝐭𝐫𝐚𝐥𝐢𝐬𝐦𝐞 𝐫𝐞́𝐯𝐨𝐥𝐮𝐭𝐢𝐨𝐧𝐧𝐚𝐢𝐫𝐞 𝐞𝐭 𝐥’𝐞́𝐜𝐡𝐞𝐜 𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐩𝐫𝐞𝐦𝐢𝐞̀𝐫𝐞 𝐭𝐞𝐧𝐭𝐚𝐭𝐢𝐯𝐞 𝐝𝐞 𝐭𝐫𝐚𝐧𝐬𝐢𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐞́𝐦𝐨𝐜𝐫𝐚𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞
Sous Ahmed Sékou Touré, père fondateur de la nation, la Guinée a cru, un instant, écrire une épopée d’émancipation et de stabilité. Mais l’élan révolutionnaire s’est vite mué en un centralisme implacable occasionnant vingt-six années de parti unique et transformant le rêve d’indépendance en cauchemar : culte de la personnalité, répression, exils et exécutions sommaires. L’État, finalement confondu avec un homme, a étouffé la République sous le poids du dogme et de l’instauration d’un État policier.
Toutefois, la mort de Sékou Touré en 1984 aurait pu ouvrir la voie à un renouveau démocratique. Car le coup d’État du général Lansana Conté inaugura une première tentative de transition démocratique avec l’adoption de la Loi Fondamentale du 23 décembre 1990.
Peu à peu, derrière cette façade de libéralisation de la vie politique et économique, la Guinée a glissé dans le clientélisme, la corruption et l’ethno-régionalisme. L’État était devenu l’enjeu de prédation des élites, et non plus le moteur du développement socio-économique. Pendant vingt-quatre ans de régime militaire, la Guinée vivait au rythme des crises multidimensionnelles.
𝐁- 𝐃𝐞 𝟏𝟗𝟓𝟖 𝐚̀ 𝐧𝐨𝐬 𝐣𝐨𝐮𝐫𝐬 : 𝐢𝐭𝐢𝐧𝐞́𝐫𝐚𝐢𝐫𝐞 𝐝’𝐮𝐧𝐞 𝐞𝐬𝐩𝐞́𝐫𝐚𝐧𝐜𝐞 𝐭𝐫𝐚𝐡𝐢𝐞
L’histoire politique de la Guinée s’ouvre sur un acte fondateur d’une portée symbolique exceptionnelle. La mort du Général Conté en 2008 aurait également pu ouvrir un nouveau chapitre. Mais les années qui ont suivi sa mort ont été rythmées par des transitions avortées, des promesses non tenues et des crises démocratiques
En 2010, l’élection du professeur Alpha Condé a été perçue comme un retour de l’espoir démocratique. L’arrivée au pouvoir du premier président civil élu symbolisait la possibilité d’une alternance, d’une réforme des institutions et la naissance d’un État de droit. Mais cet optimisme s’est progressivement mis à mal par des pratiques politiques qui rappellent les travers du passé : l’ethno-stratégie, le clientélisme, le favoritisme et le tripatouillage constitutionnel perpétré en 2020, offrant un troisième mandat au Pr Alpha Condé en violation des dispositions de la Constitution de mai 2010. La promesse d’alternance démocratique et de respect des règles du jeu démocratique a à nouveau été bafouée.
C’est dans l’exercice de ce troisième mandat du Pr Alpha Condé qu’intervient le coup d’État du 5 septembre 2021, mené par le groupement des forces spéciales à sa tête le Colonel (à l’époque des faits) Mamadi Doumbouya. En renversant le Pr Alpha Condé, une bouffée d’espérance parcourut le pays. La promesse de « refondation et de rectification institutionnelle » résonna comme un écho du passé : celui de chaque aube nouvelle qui finit par ressembler au crépuscule précédent. Quatre ans plus tard, la rupture promise s’est muée en une continuité qui plongera le pays dans un éternel recommencement. Cette situation désastreuse n’est pas seulement l’échec des hommes et femmes, mais celui de plusieurs générations dont l’avenir est hypothéqué par une bureaucratie civilo-militaire.
Ainsi, en désespoir de cause, je suppose, peut-être naïvement, que le véritable rendez-vous avec l’histoire n’est pas encore advenu : celui où la Guinée cessera d’attendre un libérateur, pour enfin s’émanciper par elle-même.
𝐀𝐥𝐲 𝐒𝐨𝐮𝐥𝐞𝐲𝐦𝐚𝐧𝐞 𝐂𝐚𝐦𝐚𝐫𝐚
𝐀𝐧𝐚𝐥𝐲𝐬𝐭𝐞 𝐩𝐨𝐥𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐞𝐭 𝐄𝐧𝐬𝐞𝐢𝐠𝐧𝐚𝐧𝐭-𝐜𝐡𝐞𝐫𝐜𝐡𝐞𝐮𝐫 𝐚𝐮 𝐃𝐞́𝐩𝐚𝐫𝐭𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐝𝐞𝐬 𝐬𝐜𝐢𝐞𝐧𝐜𝐞𝐬 𝐩𝐨𝐥𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞𝐬 𝐝𝐞 𝐥’𝐔𝐧𝐢𝐯𝐞𝐫𝐬𝐢𝐭𝐞́ 𝐆𝐞́𝐧𝐞́𝐫𝐚𝐥 𝐋𝐚𝐧𝐬𝐚𝐧𝐚 𝐂𝐨𝐧𝐭𝐞́ 𝐝𝐞 𝐒𝐨𝐧𝐟𝐨𝐧𝐢𝐚.
L’article La Guinée, un pays de rendez‑vous manqués avec l’Histoire ? » (Aly Souleymane Camara) est apparu en premier sur Mediaguinee.com.
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